La proposition d’une carte « pluriannuelle » (rapport Fekl remis au gouvernement en mai 2013) a été reprise dans le projet de loi présenté par le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve le 23 juillet 2014. Celui-ci entend pallier les insuffisances des titres de séjour temporaires renouvelables chaque année par la création d’un intermédiaire entre la carte temporaire (1 an) et la carte de résident (10 ans).

La durée générale du séjour passerait alors à 4 ans, avec des exceptions. Les titres Etudiant seront délivrés pour une durée égale à celle de leur cycle d’études, les titres Vie privée et familiale seront d’une durée de 2 ans pour les conjoints de Français et les parents d’enfant Français, et les titre Maladie seront délivrés pour une durée déterminée par la période de traitement, et pour 4 ans maximum.

Le titre pluriannuel ne sera accessible qu’après un an de séjour consécutif à la délivrance d’un premier visa de long séjour. Idem dans le cas d’un changement de statut.

Le projet, s’il est voté, et sous réserve des conditions d’application dans les administrations, pourra éventuellement réduire les files d’attente pour les renouvellements aux préfectures (qui commencent bien souvent à quatre heures du matin) et freiner la création de situations de non droit (délai de livraison des titres trop longs, délivrance de simples récépissés) qui infligent de lourdes difficultés aux étrangers pour accéder à un emploi, un logement, et aux services publics tels que la Sécurité sociale et les Caisses d’allocation familiale.

Nouveaux pouvoirs des préfectures  

Les titulaires resteront néanmoins sous étroite surveillance. L’administration pourra vérifier à tout moment si le détenteur du titre de séjour remplit toujours les conditions dans lesquelles il l’a obtenu, aux moyens de contrôles ou de convocations. La préfecture conserve un pouvoir discrétionnaire en matière d’attribution, de renouvellement et de retrait du titre. C’est un point important, beaucoup de personnes deviennent sans papiers car on leur refuse un changement de statut. En témoigne l’histoire de cette femme qui a été abandonnée par son mari à son arrivée en France et à qui on refuse depuis 10 ans l’obtention d’un titre de séjour Salarié. Elle vit aujourd’hui contrainte dans chacun de ces faits et gestes pour ne pas risquer d’être expulsée.

Le projet prévoit également d’étendre les moyens des préfets pour enquêter sur les fraudes, et de mettre en place de nouveaux dispositifs pour accroître « l’efficacité » du système de reconduite à la frontière en réduisant les délais de recours (de trente à sept jours) et en étendant la possibilité de prononcer des interdictions de séjour. Le dispositif d’assignation à résidence sera renforcé en donnant de nouveaux moyens légaux aux forces de l’ordre pour interpeller les personnes à leur domicile.

Malgré la transposition en droit français de certains éléments positifs imposés par la réglementation européenne en ce qui concerne le droit d’asile, et quelques améliorations telles que l’assouplissement des conditions à remplir pour l’obtention d’un titre de séjour pour les étrangers malades, le texte demeure largement insuffisant pour nombre d’organisations et d’observateurs, voire même contre productif en plusieurs endroits.

« Rendez-nous la carte de résident »

Avant la promulgation de la loi et son application, plusieurs organisations ont lancé la campagne « Rendez-nous la carte de résident », à la fin du mois de juillet. Ces organisations refusent qu’en 2014 les personnes étrangères qui ont construit leur vie en France soient maintenues dans l’insécurité d’un droit au séjour précaire, avec des effets désastreux sur leur vie professionnelle et familiale, et pour l’accès aux droits sociaux et au logement.

La campagne appelle les organisations nationales et locales à signer le « Manifeste pour un titre de séjour unique, valable 10 ans, délivré de plein droit ».

Dénonçant les réformes successives du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui sont allées dans le sens d’une précarisation des titres de séjour et une dégradation des conditions de renouvellement des titres (alors même que certains devraient s’obtenir de plein droit) les organisations signataires demandent que soit mis fin aux conditions désastreuses de séjour des personnes qui s’établissent en France et souhaitent construire leur vie dans la société française.

Elles réclament le retour de la carte de résident, titre unique de droit commun, valable 10 ans et renouvelable de plein droit.

Votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale il y a trente ans, la carte de résident a été petit à petit dénaturée, tandis que la carte de séjour temporaire l’a supplanté en lieu et place d’un titre de droit commun. Pourtant les raisons qui étaient mises en avant en 1984 demeurent valables : simplification des démarches, amélioration des conditions d’accueil dans les préfectures, garantie de sécurité juridique.

Le manifeste a été signé par pas moins de 200 organisations : 70 associations nationales, 110 organisations locales, 12 syndicats, avec le soutien du parti Europe Ecologie Les Verts.

On sait combien sont nombreux les travailleurs étrangers dans le secteur agricole. Tout autant sont ceux qui ont des difficultés pour renouveler leur titre, à qui on l’a retiré ou qui n’en ont pas obtenu. Au travail de l’ouvrier agricole, déjà très précaire, souvent saisonnier, s’ajoute la précarité du statut de séjour en France.

Revendiquer la carte de résident pour les travailleurs immigrés dans le cadre de leur entrée légale sur le territoire est un premier pas en solidarité avec ceux qui participent activement au revenu agricole. Il ouvre également le débat sur les contrats saisonniers et diverses filières de recrutement destinées aux publics étrangers ainsi que sur le durcissement des conditions de régularisation pour les personnes sans papiers, qui plongent toujours plus de personnes dans la grande précarité en France.