On peut se dire que cette fois, au moins, les israéliens ne sont pas à blâmer, ils ne sont pas responsables pour le climat. Certes, mais l’occupation est toujours là pour aggraver les situations déjà extrêmes. Comme d’habitude, les médias brillent par leur silence : à l’exception de Jérusalem et d’Al Aqsa enneigée, le reste ne semble pas les préoccuper.

 

En Cisjordanie

Pourtant, les dégâts ont été considérables. Plus de 60% de la Cisjordanie s’est trouvée totalement ensevelie sous près d’un mètre de neige par endroits, sans électricité pendant 72 heures au moins. Tous les commerces, écoles et institutions et réseaux routiers étaient fermés, nous étions coupés de toutes sources d’information. Seuls le bouche à oreille fonctionnait par téléphone pour ceux qui avaient pris la précaution de le charger. Nous avons eu l’occasion de nous rendre compte avec affliction du désarroi dans lequel nous nous trouvions sans ordinateurs, internet, lumière eau chaude ou chauffage dans des maisons dont les températures avoisinaient les 0 degrés.

Les villes ayant retrouvé le courant le plus rapidement, comme Tulkarem, sont celles qui bénéficiaient de services de distribution d’électricité indépendants d’Israël ou de l’Egypte. Les autres, notamment les habitants de Hébron ou de Bethléem, ont dû attendre qu’Israël rétablisse le courant à Jérusalem Ouest pour daigner s’occuper des populations des territoires occupés. A Ramallah, le réseau, égyptien, a mis quelques jours à être complètement raccordé aussi. Les colonies quant à elles ont rapidement été secourues, sans parler du fait que la plupart d’entre elles possèdent des générateurs électriques indépendants.

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Dès Vendredi 13, premier jour de la tempête, les militaires et la police s’activait dans les rues de Ramallah pour tenter de dégager les routes des nombreux arbres abattus en travers et des voitures immobilisées avec du matériel de chantier. C’est la ville qui a reçu le plus de précipitations du fait de son altitude, environ 800 m. Dans ce contexte, sans surprises, c’est souvent la solidarité qui a sauvé la situation : les propriétaires de 4×4 s’employaient à décoincer les automobilistes ayant eu l’imprudence de s’aventurer sous la tempête et les familles et voisins se sont entraidées pour profiter du gaz pour pouvoir manger chaud. Ceux qui disposaient de places vides s’arrêtaient pour laisser entrer les piétons qui, semblables à des bonhommes de neiges (sac en plastique autour des chaussures), bravaient la tempête pour se réfugier chez un voisin ou lui porter assistance. Malgré tout, plus d’une cinquantaines de personnes ont dû bénéficier de soins d’urgence du fait d’accidents survenus à cause de la météo.

Toutefois, lorsque l’électricité est revenue pour quelques minutes, au milieu de la nuit, notre premier réflexe a été de nous ruer sur les sites d’information pour constater l’étendue des dégâts dans l’ensemble de la région. Le silence du choc a immédiatement succédé à l’euphorie et aux applaudissements qu’avait provoqués la réapparition de la lumière dans l’appartement glacé dans lequel nous campions à 8, enfouis sous des couvertures les uns sur les autres. Quelqu’un a finalement brisé le silence : « je ne sais pas quoi dire, à chaque fois que je me dis que le bon côté des choses c’est que ça ne peut pas être pire pour Gaza, quelque chose me prouve le contraire »…

 

Reconnexion au monde brutale : les bédouins, les paysans et le choc de Gaza

Ma première pensée va aux bédouins, les plus pauvres et les plus exposés aux violences de l’occupant. Ces éleveurs qui vivent dans des abris de fortunes avec leurs familles et leurs animaux. Evidemment, les taules et bâches en plastiques n’ont pas résisté à la tempête. De plus, de nombreux abris de bédouins ont été détruits par l’armée israélienne, juste la veille de la tempête, aggravant encore l’urgence humanitaire dont ils relèvent. C’est sans compter les pertes d’animaux, et les pertes à venir du fait des maladies ou faiblesses qui ont impacté les troupeaux.

Evidemment, les paysans ne sont pas mieux lotis. Ne serait-ce qu’autour d’Hébron, 72h après le début de la tempête, l’UAWC (ONG de développement agricole) comptait plus de 3 millions de dollars de dégâts agricoles seulement, sans compter les destructions d’habitations, l’enclavement, etc. L’état des routes rendait l’accès difficile aux villages perchés dans les collines de Cisjordanie, et même lorsque c’était possible, les associations ne disposaient pas d’assez de matériel pour venir en aide à toutes les populations. Enfin, la majorité des paysans pauvres et bédouins se trouvant en zone C, ils n’ont pas ou très peu bénéficié de l’aide des autorités palestiniennes, laissant les gens livrés à eux-mêmes, sans même du bois de chauffage ou des vêtements secs. L’insécurité alimentaire déjà forte en Palestine, et plus particulièrement dans ces communautés ne va donc pas s’améliorer prochainement.

Rapidement, nous apprenons aussi que Gaza la martyre est encore et encore plus dans la désolation. Toute une partie de la bande de Gaza se trouvait déjà dans une situation extrêmement difficile depuis la fin de l’été. Les eaux usées débordaient déjà par endroits, comme tous les ans du fait des égouts sous dimensionnés. Lorsque l’orage est arrivé, ceux sont plus de 3000 personnes qui se sont retrouvées immédiatement sans abris du fait des inondations ou des destructions de maisons au Nord et à l’Est de cette petite prison à ciel ouvert. Ce sont des bateaux de pêcheurs qui ont été employé pour secourir les gens. La situation a empiré rapidement lorsque, le deuxième jour de la tempête, les autorités israéliennes ont jugé pertinent d’ouvrir une  digue fermant un réservoir de récupération d’eau de pluie à l’Est de Gaza, inondant ainsi des villages entiers. Aujourd’hui OCHA – l’Organisation des Nations Unies chargées de la Coordination des Affaires Humanitaires – parle de 10 000 personnes déplacées du fait des inondations. On recense au moins une centaine de blessés et deux morts, dont un enfant. L’électricité, déjà absente des foyers en dehors de quelques heures par jour est disponible une heure par jour au mieux.

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Il est à rappeler que la Bande de Gaza est sous blocus israélien, encerclée par un mur sur terre et par des barrages militaires à 3 km des côtes méditerranéennes. Cela implique que la population manque de tous les services et matériaux de base, qu’il s’agisse de matériel médical, de construction ou encore de nourriture. La Bande de Gaza a subi deux bombardement israéliens massifs en 2008 et 2012, coûtant la vie à plus de 1700 civils au total et détruisant habitations et infrastructures indispensables telles que les centrales électriques. Pour contourner le blocus, plusieurs centaines de tunnels creusés entre le Sud de Gaza et l’Egypte permettaient de faire passer des marchandises. Toutefois, les autorités israéliennes, soutenues par les autorités égyptiennes se sont employées à fermer un maximum d’entre eux au cours des derniers mois, bloquant notamment les livraisons de fuel, aggravant encore un peu la situation de survie des gazaouis.

Le gouvernement de Gaza a placé le territoire sous état d’urgence. Finalement, l’autorité palestinienne en Cisjordanie a négocié avec Israël pour parvenir à affréter une livraison de fuel. Toutefois, s’il est positif de voir que l’autorité palestinienne du Fatah a mis de côté les rancunes avec le Hamas de Gaza pour l’occasion, la situation n’est pas parfaite puisque l’autorité palestinienne a appliqué un régime de taxation d’export au fuel vendu à Gaza, ce qui n’a pas manqué de faire réagir le Hamas qui s’est insurgé du prix trop élevé qu’il n’a pas les moyens de payer. Du dépannage certes, mais avec intérêt donc.

 

Et les réfugiés… et la guerre ?

Le cynisme du sort atteint aussi des sommets dans le reste de la région. Les centaines de milliers de réfugiés syriens parqués dans des camps de tentes en plastiques dans des conditions de vie catastrophiques n’ont pas pu échapper au climat, où qu’ils soient. Beaucoup d’entre eux, vivant une double tragédie, se sont retrouvé de nouveau sur les routes de l’exil dans l’espoir de trouver un abri plus sûr, que ce soit en Syrie, au Liban, en Turquie ou en Jordanie. Plusieurs dizaines d’enfants sont morts de froid et de maladies respiratoires et les ONG constatent de véritables épidémies de pneumonies qui pourraient alourdir le bilan humain rapidement si rien n’est fait. Or, toutes les organisations manquaient déjà de moyens et de matériel et la météo ne fait qu’enfoncer le clou. La situation semble tout aussi insolvable qu’ailleurs dans la région.

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Enfin, comme si tout ça n’était pas suffisant, l’agitation militaire se fait sentir. D’après la FINUL (troupes de maintien de la paix des Nations unies au Liban), des soldats israéliens ont pénétré côté libanais et ont été blessés lors d’une explosion. Dimanche soir, un soldat israélien a été tué par les soldats libanais à la frontière et le lendemain matin, deux soldats libanais étaient tués par Tsahal en représailles. Si d’après la FINUL, les deux parties ont consenti à se réunir autour d’une table rapidement, une aggravation de la situation ne serait pas étonnante. Malgré les déclarations officielles de l’armée libanaise parlant d’un « incident individuel », l’Etat dit « garder ses canons pointés vers Israël » et Israël a lancé ses avions de chasse au-dessus du pays. Hier, la tension est remontée d’un cran lorsque l’armée israélienne s’affairait à déraciner un arbre à la frontière. Il est à rappeler qu’un incident similaire en 2008, avait conduits à des échanges de feux sanglants et prolongés.

Je n’ose imaginer l’effet qu’aurait une énième agression israélienne sur le territoire libanais alors que le pays – seul à n’avoir pas fermé ses frontières aux réfugiés syriens – se débat pour maintenir la paix sociale devant le flux de syriens, qui s’ajoutent aux réfugiés palestiniens, et qui constituent maintenant environ un quart de la population libanaise (environ 1,2 millions de personnes). Sans compter que les forces militaires libanaises ne seraient capables de repousser Tsahal sans les précieux combattants du Hezbollah, actuellement engagé sur le champ de bataille syrien.

Bref, le climat s’ajoute à la belligérance courante et à l’injustice ordinaire de l’occupation pour enfoncer encore un peu les populations en désarrois, comme si la poudrière qu’est le Moyen Orient avait besoin de ça. Face à ça, que dire d’autre qu’Inchallah ?