Après presque 3 mois passés en Allemagne à travailler sur les saisonniers agricoles migrants et l´état de l´agriculture paysanne, j´ai vu défiler par les vitres de ma voiture les monocultures en tout genre, les méga-installations d´élevage intensif, et les drôles de grosses bulles blanches des infrastructures de bio-gaz. Pas si verte que ça l´agriculture notre célèbre voisin écolo…Mais cachée entre les étendues de plastique des champs d´asperges et les monocultures de fraises, j´ai eu la chance de découvrir une belle alternative à l´agriculture industrielle : la coopérative Gartenkoop à côté de Freiburg.

Un projet d´agriculture locale, durable et solidaire

En 2005, un noyau de 150 citoyens, agriculteurs et militants décident de prendre en main leur alimentation et de contribuer à l´émergence d´une agriculture locale, durable et solidaire. Inspirée du modèle des Jardins de Cocagne à Genève, l´idée est d´auto-produire leurs fruits et légumes, de manière écologique et abordable pour tous ceux qui souhaitent s´impliquer dans ce projet pour une meilleure alimentation et agriculture.

Ils mirent trois ans à dénicher des terres disponibles et adéquates, mais ce temps leur permit de faire mûrir le fonctionnement de leur projet et d´organiser son auto-financement. Chaque membre a investi pécuniairement à hauteur de ses possibilités.

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La coopérative possède aujourd’hui 9 hectares dont 1/3 en maraîchage, 1/3 en céréales et 1/3 en engrais verts. Ils fonctionnent sur une rotation de 12 ans pour les champs et de 8 ans pour les serres. Quatre maraîchers sont embauchés à plein temps par la coopérative, et tous les mercredis et jeudis matins, les membres peuvent venir contribuer au travail de culture et de récolte. Il s´agit là aussi bien d´appuyer la production que d´apprendre à cultiver. Le projet est participatif et à visée pédagogique, il permet aux urbains de tisser de réels liens avec leur nourriture.

Gartenkoop a fai2t la démarche de certification « Agriculture biologique » (AB), non pas pour l´information de ses « consommateurs », puisque ceux-ci sont les membres actifs et décideurs de la coopérative, mais afin de pouvoir coopérer et échanger avec d´autres exploitations labellisées agriculture biologique. En réalité, ils cherchent à dépasser les simples critères AB, en cherchant par exemple à cultiver d’ anciennes variétés afin de contribuer à la conservation de la biodiversité et soutenir la production de semences paysannes adaptées à leur territoire.

La coopérative compte aujourd´hui 290 membres participant chacun à hauteur de 300 à 3000 euros par an, selon leurs revenus. La livraison hebdomadaire est effectuée à tour de rôle par les membres grâce à des « vélos-charettes » qui se faufilent dans les rues de Freiburg. On l´aura compris, il ne s´agit pas ici « d´acheter des légumes »  mais bien de prendre part à l´élaboration d´un projet d´agriculture paysanne avec les diverses composantes que cela implique : intégration dans le tissu social, respect de l´environnement, revenu décent pour les producteurs, conservation de la biodiversité, pédagogie et transmission des savoir-faire , reprise de pouvoir des citoyens sur leur alimentation…

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Retour à la réalité

Je passe une journée ensoleillée à travailler aux côtés des maraîchers et des membres venus prêter main forte. L´expérience est motivante et enthousiasmante, mais ces derniers insistent : « Nous sommes un rare exemple dans l´agriculture allemande. La réalité est bien différente ! ». En effet, le modèle dominant n´est pas bien loin.

Après le travail, un petit tour dans la campagne environnante nous donne un aperçu révélateur du modèle agricole allemand: monocultures d´asperges et de fraises, dans lesquelles travaillent courbés du matin au soir, pour 4 euros brut de l´heure, des centaines de travailleurs migrants issus d’Europe de l´Est. 

Juste derrière le joli site de Gartenkoop, se trouve les champs du plus gros producteur d´asperges et de fraises de la région. Bien cachées derrière de hautes haies, on peut entrevoir les rangées de minuscules logements blancs faisant office d´hébergement pour les saisonniers migrants. Un rapide comptage au nombre de fenêtres et de rangées «  numérotées » de A à J nous laissent penser que 300 à 500 personnes sont parquées dans ce camp peu attrayant.

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Agriculture d´exportation, haute dépendance aux énergies fossiles et aux intrants chimiques, monocultures, production animale intensive, concentration, exploitation des ouvriers agricoles … tel est le visage véritable de l´agriculture allemande présentée comme un modèle de compétitivité à suivre par les chantres français de l´agriculture industrielle. La Confédération Paysanne y oppose au contraire un projet d´agriculture paysanne durable et solidaire, seule capable de nourrir la planète et d´enrayer le réchauffement climatique. Gartenkoop en est un exemple original et prometteur.

A voir : Le documentaire (en allemand) sur la coopérative Gartenkoop