Aujourd’hui, c’était la journée de commémoration de la Naqba (« catastrophe » en arabe), le jour où l’Etat d’Israël est officiellement né. Pendant cette période, en quelques mois, 750 000 palestiniens quittèrent ou furent chassés de leur maison sans possibilité d’y revenir. Cette date reste un repère dans les mémoires collectives : le jour béni de l’indépendance pour les israéliens, et le début de l’exode et de la vie dans les camps de réfugiés pour des générations de palestiniens…. Pour ces derniers, c’est bien l’évènement le plus important de l’année.
Plusieurs manifestations avaient lieu sur l’ensemble des territoires Palestiniens et en Israël. Je suis allée à Jérusalem avec quelques journalistes indépendants de différentes nationalités qui habitent ici depuis plusieurs mois ou années. Suite à la célébration houleuse du 65ème anniversaire de l’occupation israélienne par des milliers d’israéliens à Jérusalem la semaine dernière, il était évident que les palestiniens de Jérusalem Est (occupée et annexée par Israël) créeraient l’évènement, malgré la rareté des manifestations dans la ville.
Aucune association ou comité populaire n’avait pris l’initiative d’organiser une quelconque manifestation. Aux alentours de 14h, des jeunes garçons et filles, de nombreux enfants et des femmes âgées se sont spontanément massés devant la porte de Damas, dans une ambiance plutôt bon enfant. Ils scandaient des slogans en frappant dans leurs mains et en dansant sur les marches, entre deux parties de sifflements collectifs : « Dieu, Jérusalem, la Palestine, et c’est tout ! », « Avec mon âme, avec mon sang, je te défendrais Jérusalem ! », « Nous sommes la jeunesse, nous sommes l’avenir ! », ou encore par intermittence « Dieu est grand ! ».
Naqba_ShababSloganDamascusGate
Plusieurs corps de police et de militaires étaient présents : la police des frontières (les gris), la police de Jérusalem (les bleus), et l’armée (les kakis). Plusieurs d’entre eux étaient à cheval, les canons à eau étaient prêts à servir et les fantassins se cramponnaient à leurs mitraillettes. La tension était palpable depuis le début mais les deux camps s’appliquaient à s’ignorer. D’autant que la porte de Damas est une entrée du souk de la vieille ville, donc une zone très fréquentée, aussi bien par les habitants que par les touristes qui passaient tantôt amusés et intéressés, tantôt inquiets du tapage.

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Au début, nous étions presque déçus qu’il y ait aussi peu de monde, mais soudainement, il y a eu un mouvement de foule et en quelques minutes, les rues se sont transformées en un véritable champ de bataille. Les gens couraient dans tous les sens, les canons à eau arrosaient tout le monde sans distinction (j’ai été douchée trois fois dont une à dessein alors que je m’abritais derrière une étale désertée avec deux journalistes repérables facilement à leurs objectifs).

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Dès que trop de personnes se réfugiaient au même endroit, les chevaux chargeaient dans le tas laissant de nombreuses personnes à terre, les soldats devenaient de plus en plus violents, frappant arbitrairement hommes et femmes, manifestants, simples badauds, ou même journalistes. Le bruit tonitruant des grenades assourdissantes résonnait dans l’air.

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Les autres protagonistes omniprésents : les journalistes. Il y en avait de toutes les nationalités et de tous les âges, hommes et femmes. Tout aussi ubiquitaires : les secouristes, par groupes de trois ou quatre, ils agissaient très rapidement pour dégager les blessés et les évacuer dans les ambulances qui tentaient de se frayer un chemin dans la circulation qui n’avait pas été arrêtée pour l’occasion.
Chose surréaliste, dans cette débandade générale, les vendeurs ambulants de fallafels continuaient de faire griller leurs brochettes et de vendre leurs sandwichs, perdant souvent leurs clients dans un moment de panique général. Cette obstination et ce calme incroyable leur valaient parfois de voir toute leur marchandise perdue dans une mare d’eau ou répandue à terre par la charge des cavaliers. Les quelques instants de calmes n’étaient qu’un leurre, même si, se promenant en touriste, on aurait pu croire qu’il s’agissait de l’agitation et de l’anarchie ordinaire de cette partie de la ville.
Cette atmosphère a excité le « shabab », les jeunes. Ce sont les mêmes jeunes du début que j’ai retrouvé une rue plus loin. Ils avaient mis une benne à ordure en travers de la rue, y avaient allumé un feu et achevé de barrer la rue avec des barrières que la police avait laissé trainer là. De derrière, ils jetaient des pierres ou des bouteilles en verre sur les forces de l’ordre à pieds, à cheval, en voiture ou sur les véhicules blindés qui portaient les canons à eaux.

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Les soldats, rendus hystériques par les ripostes, tiraient des balles en caoutchouc et en métal dans tous les sens. L’une d’elles est passée juste au-dessus de ma tête pour aller s’encastrer dans le mur derrière nous. Dès qu’un projectile atteignait son but, les soldats se ruaient sur l’arabe le plus proche, le plaquaient au sol, contre un mur ou une voiture et souvent, le frappaient à plusieurs à coups de pieds ou de bâton. Un peu plus loin, sur l’avenue principale, ils tentaient de contenir les ardeurs d’un groupe d’une cinquantaine de juifs orthodoxes qui s’efforçait d’atteindre la vieille ville par porte de Damas dans un joyeux esprit de surenchère….

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Nous avons quitté les lieux chaotiques aux alentours de 19h pour rentrer à Ramallah. Ce n’était pas fini mais le gros des manifestants avaient été dispersé. Nous nous en sommes tirés pour avec notre dose d’adrénaline pour quelques jours, quelques bleus pour certains et trempés jusqu’aux os. Ma prochaine manifestation, Vendredi, jour traditionnel de protestation contre le Mur en Cisjordanie. Cette fois, il n’y aura pas autant de caméras et de touristes pour réprimer les ardeurs de l’armée. Ça promet….

Pour les anglophones : http://www.vice.com/en_uk/read/nabka-day-was-a-catastrophe

Sarah, Mercredi 15 Mai 2013.