La période de dépôt de demandes de régularisation pour les migrants irréguliers présents sur le territoire italien s’est clôturée ce lundi 15 octobre à minuit en enregistrant un total de

(chiffres publiés ce matin du Ministère de l’Intérieur), contre plus de 500 000 lors de la dernière régularisation de masse de 2009. Les critiques se multiplient à l’encontre de cette première phase de la régularisation.

Les types de demandes se divisaient en deux catégories, soumises soit par des familles pour régulariser un travailleur domestique, soit par des entreprises pour régulariser un employé non déclaré. En définitive, seulement 18 000 demandes ont été soumises par des entreprises, contre plus de 116 000 par des familles. La régularisation concernera donc en grande majorité des aides à domiciles ou travailleurs et travailleuses domestiques (les dites « badanti » et « colf »).

 Les premières analyses de ces chiffres supposent qu’un nombre élevé de migrants irréguliers ont soumis une demande comme travailleur domestique tout en travaillant dans un autre secteur où ils se feront déclarer suite à leur régularisation. Piero Soldini, responsable immigration de la CGIL, premier syndicat italien, explique qu’on peut constater de nombreux paradoxes dans les données des demandes déposées. Ainsi, si on observe d’un coté une très grande majorité de demandes pour travail domestique, les nationalités les plus représentés sont les bengalais et les marocains. Pourtant, « qui connait le marché du travail italien sait très bien que la communauté marocaine ne s’occupe pas de collaboration domestique » remarque Soldini .

Ces chiffres biaisés sont la conséquence directe d’un cout trop élevé des demandes pour les travailleurs non domestiques, d’une procédure complexe et du peu de temps dont disposaient les migrants pour déposer un dossier. Filippo Miraglia, responsable immigration de l’Arci, abonde en ce sens ce matin via un communiqué de presse :  “Le résultat final est que probablement moins d’un cinquième de ceux qui auraient pu prétendre à la régularisation en ont profité, et que presque 90% des demandes présentées concernent les travailleurs domestiques, c’est à dire les catégories de travailleurs pour lesquels il n’était pas nécessaire de déclarer un emploi à temps plein et dont le cout respectivement aux autres types d’emploi, était bien inférieur. »  Il s’agit donc d’un échec pour les travailleurs irréguliers mais aussi pour l’état italien, qui n’en percevra que moins de taxes sur ces emplois qui resteront dans le secteur informel.

Les principales centrales syndicales constatent de la même manière que la régularisation n’a en définitive touché qu’une faible partie des travailleurs irréguliers. Ainsi l’UIL insiste sur les « occasions manquées qui auraient pu transformer la régularisation en une grande chance de sortie du travail au noir d’un bassin de travailleurs étrangers ‘sans papiers’ dont le nombre est évalué par de nombreux observateurs entre 500 et 800 000 personnes ». Anticipant ces critiques, la Ministre de l’Intérieur Anna Maria Cancellieri avait déclaré le week-end dernier qu’au contraire ce nombre assez bas de demandes révélait « que le phénomène n’était pas aussi diffus que ce que l’on pensait », provoquant la colère des

et des associations de soutiens aux migrants irréguliers accusant la Ministre d’hypocrisie.

Enfin, tous dénoncent les inégalités entre employeurs et migrants irréguliers dans une procédure de ce type. En effet, outre le cout élevé en partie à la charge du migrant, reste que les risques ne sont pas les mêmes en cas de rejet de la demande pour le migrant ou l’employeur. Quand ce dernier s’expose à une simple amende, un migrant débouté tombera immédiatement sous le coup d’une procédure d’expulsion. Et ce, peu importe le temps passé sur le territoire ni la durée d’emploi irrégulier qui aura précédé.

Face à l’échec de ce qui est un des seuls moyens pour un migrant d’obtenir un permis de séjour après avoir séjourné de manière irrégulière sur le territoire (voir encart sur les conditions de régularisation ci dessous), Luciano Gualzetti, directeur de la Caritas Ambrosiana, s’interrogeait : « L’histoire de l’immigration en Italie est faite d’étrangers qui arrivent comme clandestins et sont par la suite tolérés. Il faut aujourd’hui, au contraire, modifier le système des quotas d’entrée pour le rendre plus proche des réalités de notre pays, en reconnaissant une fois pour toutes le rôle de ces travailleurs dans plusieurs secteurs clés de notre économie et de notre système de welfare. »

 

 

Encart :Les mécanismes d’émersion des migrants irréguliers en Italie.

Outre l’obtention d’un statut de refugié suite à une demande d’asile, ou l’entrée sur le territoire par regroupement familial, il n’existe que deux voies pour obtenir un permis de séjour autorisant travail et résidence en Italie. La première solution consiste à profiter d’un décret flux, décret ministériel renouvelé annuellement qui annonce le quota de migrants réguliers autorisés à entrer sur le territoire. Il s’agit donc de réussir à obtenir en amont de la venue sur le territoire un visa via son pays d’origine en effectuant une demande depuis l’étranger, tout en sachant que des quotas privilégiés pour certains pays existent et que les décrets flux ne permettent pas depuis leur création en 1998 au sein de la loi Turco Napolitano, plus de 30 à 50 000 entrées par an. De plus, les quotas nationaux dépendent entre autres de la bonne coopération des Etats du Sud aux politiques d’expulsion des irréguliers, qui en « récompense », obtiennent un certain nombre de visas pour des migrations régulières vers l’Italie de leurs concitoyens. L’autre solution est donc la participation à une régularisation de masse, ayant lieu tous les trois à cinq ans depuis 1986 en Italie. On comprend donc l’enjeu énorme que revêt un tel dispositif et les critiques qui sont formulées dès lors que l’accès de certains travailleurs à la régularisation est rendu difficile comme on a pu l’expliquer ci dessus.