Jeudi 9 février 2017. Réveil matinal. Routine du thé-café. Puis vient le moment d’allumer mon téléphone. Parmi les messages, l’un est de Meredith du Mercy Café, dans le camp de Tabanovce, au nord de la Macédoine. Je ne compte pas le lire tout de suite au départ. Nous essayons de trouver une date commune pour nous rencontrer depuis plusieurs jours, je ne me préoccupe donc pas plus que cela. Mais les premiers mots que je peux lire m’interpellent. J’ouvre donc enfin son message. Ma bonne humeur matinale ne va pas durer longtemps…

 

Elle m’apprend que dans la nuit, la police a demandé aux familles qui sont bloquées dans le camp de Tabanovce depuis mars 2016 – soit 49 personnes – de rassembler toutes leurs affaires en une heure. Des bus sont ensuite arrivés pour les amener au sud, à la frontière grecque, où ils ont toutes et tous été remis aux autorités grecques[1]. Personne n’était au courant. Et pas plus d’informations pour le moment.

 

J’espère pouvoir en savoir plus à MYLA (Macedonian Young Lawyers Association), où je réalise mon volontariat. J’y apprends alors que tout cela est lié à l’accord de réadmission entre la République de Macédoine et l’UE[2]. Mais aussi que, sur le plan légal, ils ne peuvent rien faire, la Grèce ayant accepté la réadmission des personnes et toutes les démarches ayant été respectées. A mes questions, ils me répondent, sur un ton las : « case closed ».

 

Mais pas pour moi. Trop de questions s’entrechoquent dans mon esprit et j’ai besoin d’en savoir plus. Je tente donc de rassembler les pièces du puzzle, mais ce que je découvre ne me rassure pas tellement.

 

L’accord de réadmission qui a été signé en 2007 ne m’aide pas. Et je me sens démunie sur le plan juridique, n’ayant pas encore assez de connaissances sur la législation macédonienne et son fonctionnement.

 

Je cherche donc à analyser le contexte dans lequel cette réadmission a eu lieu.

 

D’abord, une question m’interpelle plus que les autres. Habituellement, nous avons des réadmissions de personnes de pays de l’UE vers des pays tiers, et ces accords sont d’ailleurs pensés pour aller dans ce sens. Mais là, c’est le contraire. Pourquoi la Grèce a donc accepté la réadmission ?

 

Et qu’est ce qui va advenir de ces familles ? La veille, la Commission européenne avait publié un rapport sur l’état des relocalisations en Union européenne. Est-ce cela qui attend ces familles, en majorité syriennes ?  Mais je reste des plus sceptiques sur ces mesures…

 

La veille également (coïncidence ?), des représentants de plusieurs Etats d’Europe centrale et du sud-est s’étaient réunis à Vienne afin de se mettre d’accord sur un plan d’action commun visant à renforcer leur coopération civile et militaire[3]. La crainte de ces pays : un effondrement de l’accord UE-Turquie et la réouverture des frontières. Leur réponse (encore et toujours là même) : plus de coopération policière et militaire aux frontières[4].

 

Au fil de mes recherches, un mauvais pressentiment s’installe en moi. Sentiment que des choses se trament sans parvenir à tout saisir. D’être là mais impuissante. Seule certitude, je n’aime pas ça du tout.

 

Je m’interroge aussi sur l’après. Pour l’instant, je n’ai pas encore réussi à avoir plus d’informations sur ce qui est arrivé aux familles une fois en Grèce. Elles ont été placées dans un autre camp, en Grèce. Donc encore une fois, enfermement et attente, vies bloquées. Pour combien de temps ? Et qu’est ce qui les attend pour après ? Et en Macédoine ? Va-t-on avoir la même chose pour les personnes bloquées à Guevgueliya, au sud du pays ? Personne ne sait… Personne ne sait non plus ce qu’il va se passer à Tabanovce. Aux dernières nouvelles, le camp ne sera pas fermé et redeviendra un camp de transit. Car oui, nous avons beau dire que les frontières sont fermées dans les Balkans, les mouvements continuent. Encore une fois, symbole des contradictions de nos sociétés européennes. Pourquoi ne pas tout simplement, enfin, reconnaître la liberté de mouvement à toutes et tous ?

 

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[1] Article en macédonien : http://novatv.mk/makedonija-gi-vrati-begaltsite-od-tabanovtse-vo-grtsija/

[2] Conseil de l’UE. Décision concernant la signature de l’accord de réadmission entre la Communauté européenne et l’ancienne République yougoslave de Macédoine, COM 2007/432, 19 février 2007. Disponible

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[3] “SE, central Europe states eye closer border cooperation to deter migrants”, 9 Février 2017. En ligne: http://www.channelnewsasia.com/news/world/se-central-europe-states-eye-closer-border-cooperation-to-deter/3503710.html

[4] Pour accéder à la déclaration conjointe signée à l’issue de la rencontre :

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