Mytilène un matin de février: Visite de l’ancien camp de Kara Tepe
Samedi 3 février 2024,
À défaut d’être à Beyrouth, je suis à Mytilène, la capitale de Lesbos où je suis venue réaliser ma mission pour Migreurop en partenariat avec A Drop in The Ocean, une ONG norvégienne qui opère dans les camps en Grèce.
Il est 11 h, pour la première fois depuis mon arrivée sur cette île, le soleil brille généreusement. Les rayons de soleil sont accompagnés d’une brise légère qui apporte une touche de fraîcheur bienvenue. En somme, un temps idéal pour effectuer une balade en bord de mer avec de la musique aux oreilles.
Me voilà donc en train de contempler la mer Égée, elle a quelque chose d’envoûtant, mais je ne saurai décrire quoi, son bleu profond borde l’île d’une présence apaisante.
Au loin, j’aperçois les côtes turques et soudainement je me rappelle que derrière cette beauté tranquille se cache une réalité sombre : la mer si sereine en apparence est le cimetière de nombreuses[1] de personnes ayant péri en tentant de rejoindre la Grèce depuis la Turquie. Impuissante face à cette tragédie et ne trouvant plus ce bleu profond si apaisant, je décide de poursuivre mon chemin.
[1] IOM Chief : Nearly 100 Disappeared or Dead in Mediterranean in 2024 Underscoring Need for Regular Pathways, 29 Janvier 2024
Des statistiques de l’Organisation Mondiale des Migrations indiquent qu’au cours du mois de janvier 2024 presque 100 personnes sont mortes ou disparues en méditerranée centrale et orientale, faisant de l ‘année 2024, l’année la plus meurtrière après 2016.
Quelque temps plus tard, je passe devant une sculpture qui attire mon attention. Au-dessus de deux pierres blanches en marbre, se dressent deux mains cuivrées, entrelacées de manière verticale. Intriguée, je décide de me rapprocher de la plaquette d’information afin d’en savoir davantage sur cette œuvre.
Étonnamment, rien n’est indiqué, c’est comme si on avait retiré les explications. Par la suite, j’ai appris qu’il s’agissait d’une œuvre réalisée par une organisation autrichienne SOS Children en signe de solidarité avec les personnes exilées.
À proximité de cette sculpture se trouve un panneau blanc sur lequel est tracé le plan d’un camp surplombé par l’inscription « Welcome to Kara Tepe »
Je réalise enfin que je me trouve à l’entrée de l’ancien camp de Kara Tepe connu aussi sous le nom de Kara tepe 1.
Pour information, le camp de Kara Tepe a été construit en 2015. Bien qu’il ne faille pas oublier le contexte dans lequel ce camp a été créé, à savoir un contexte d’enfermement systématique des personnes exilées qui, de fait, ne peut assurer une quelconque forme de vie décente aux personnes, il convient tout de même de rappeler que les conditions de vie dans ce camp étaient moins déplorables que dans d’autres lieux d’enfermement en Grèce ou en Europe.
Ce lieu était réservé aux personnes dites « vulnérables » telles que les personnes victimes de torture, de traite, les personnes de la communauté LGBT ou encore les personnes avec des soucis de santé particuliers ce qui explique que les conditions de vie étaient moins pires que dans d’autres camps.
En 2019, le gouvernement grec a annoncé la fermeture du camp pour 2021. Cette fermeture a été justifiée par la volonté de regrouper toutes les personnes en demande d’asile dans une même structure à savoir l’hotspot (initialement temporaire) de Lesbos, le camp de Mavrouvni ou Moria 2.0. Ainsi, en avril 2021, le gouvernement grec a expulsé de manière très violente des centaines de personnes du camp de Kara Tepe en les transférant dans le camp de Mavrouvni où les conditions de vie étaient (et sont toujours) bien plus déplorables.
Après cette contextualisation rapide, revenons à ma visite :
Curieuse de savoir ce qu’était devenu cet endroit et n’ayant pas vu de pancarte interdisant l’entrée, je décide de me diriger vers l’intérieur du camp ou du moins ce qu’il en reste. Bien que la végétation ait repris, la structure du camp demeure reconnaissable. Je distingue des allées en béton bordées d’oliviers. Au bout de l’allée centrale se trouve un long bâtiment en bois bleu toujours intact. Les containers ont disparu, laissant place à des parcelles d’herbes éparses. En avançant, je croise un bâtiment ouvert en ruine au toit de toile entièrement arraché. Sur le sol, jonchent des débris de toutes sortes. Seules les estrades peintes de dessins colorés subsistent, semblant être le vestige d’un théâtre.
En face de ce théâtre se dresse un haut grillage surplombé de fils barbelés qui rappelle bien l’environnement dans lequel vivaient les personnes exilées, un espace similaire à un environnement carcéral. En me rapprochant, je remarque que depuis ma position je peux apercevoir une partie du camp de Mavrouvni, sujet dont il sera question de revenir dans le prochain article.
En face de ce bâtiment se dresse un haut mur grillagé surplombé de fils barbelés. En me rapprochant, je remarque que depuis ma position je peux apercevoir une partie du camp de Mavrouvni, un camp aux conditions de vie bien différentes de celles de Kara Tepe I. Sujet qui sera abordé dans le prochain article.
Actuellement étudiante en Relations Internationales et lassée d’apprendre des concepts théoriques sans pouvoir les mettre en pratique, j’ai décidé de réaliser une année de césure et de m’engager pour une cause qui me tiens à cœur, la migration. Je réalise donc une mission en Grèce pour Migreurop, mon association d’envoi, un réseau d’association euro-africain qui œuvre pour la défense des droits des personnes exilées en dénonçant les conséquences des politiques migratoires européennes. Sur place, je suis accueillie par A Drop in the Ocean, une ONG norvégienne qui vient en aide aux personnes migrantes dans deux camps en Grèce ( Néa Kavala et Mavrouvni). Cette mission en Grèce est l’occasion pour moi d’avoir de l’expérience dans le domaine de l’humanitaire (domaine dans lequel j’aimerais exercer à l’avenir) et d’avoir un engagement politique fort.