Akksil ak diam au Sénégal !
Akksil ak diam au Sénégal : signifie « Bienvenue au Sénégal » en wolof.
Lundi 16 octobre, midi, Gare du Nord, ciel gris, polaire et doudoune, avec sur le dos un sac de 19 kilos (ressenti poids d’un camion-benne).
Le soir même, minuit passé, à Mbour, petite ville en bord d’océan Atlantique au Sénégal, le climat est lourd (ressenti 50 degrés).
Face à moi, plein de nouveaux visages. Autour de moi, le vent chaud de la côte. Et devant moi, une entrecôte.
Comment en est-on arrivé là, me direz-vous ? Tel un téléfilm familial du dimanche soir, pardonnez-moi d’user et abuser de ce bien connu procédé du flash-back, et revenons quelques mois en arrière.
L’heure des vacances d’été venait de sonner lorsque j’apprenais l’heureuse nouvelle de mon départ au Sénégal pour six mois – d’octobre 2023 à avril 2024 – dans le cadre du programme d’Echanges & Partenariats, pour une mission portée par le CCFD-Terre solidaire (basé en France), et l’Association Nationale des Partenaires Migrants (ANPM, basée au Sénégal), tous deux membres du Réseau Maghreb-Sahel sur les migrations (RMSM), pour travailler aux côtés des acteurs de la société civile sénégalaise et régionale qui luttent pour le respect des droits des personnes migrantes.
Alors que je me préparais doucement, mais sûrement, à l’idée de passer du côté théorique de ma mission à sa mise en pratique, j’apprenais une seconde bonne nouvelle : la tenue de la rencontre annuelle du Réseau Maghreb-Sahel, au Sénégal, la première semaine de ma mission. L’aubaine, car non seulement les dates et le lieu correspondaient, par un heureux hasard, parfaitement à mon arrivée, mais surtout, cette réunion me permettrait de rencontrer en personne les représentant·es des associations membres établies dans différents pays du Sahel et du Maghreb (Niger, Mali, Mauritanie, Tunisie…). Et les coïncidences ne s’arrêtent pas ici.
Vous allez finir par trouver ce jeu de la surenchère un peu lourd. Mais c’est pourtant bien vrai, puisque la réunion annuelle était elle-même précédée par le lancement de la caravane organisée par l’association sénégalaise Boza Fii, la même semaine, au même endroit, pour promouvoir le droit à la dignité des victimes des frontières et sensibiliser les populations locales à ce sujet, dans différentes villes du nord du Sénégal. La synchronisation était donc parfaite.
Le tout, accompagnée par mes deux référentes de mission de mon organisation d’envoi, le CCFD-Terre Solidaire, venues au Sénégal pour l’occasion. Le grand luxe.
Légère impression de partir en vacances avec mes parents, j’ai vite compris l’intérêt d’être accompagnée par mes responsables de mission, qui ont non seulement pu m’introduire auprès des nombreuses personnes rencontrées, mais qui m’ont surtout offert une précieuse et concrète formation en me permettant ainsi d’assister à un aspect central de la solidarité internationale : la mise en réseau des acteurs et mouvements sociaux de différents pays réunis autour de revendications communes et de volontés collectives.
Une semaine d’introduction idéale, qui m’a immédiatement plongée au plein cœur de ma mission, grâce au contact direct avec des acteurs de la société civile sahélo-maghrébine investis dans l’accueil et l’accompagnement des migrant·es et la lutte pour un droit de migrer effectif pour tous et toutes. Au-delà de ma seule mission, c’est le contexte migratoire régional dans sa globalité que j’ai ainsi pu appréhender auprès de militant·es réparti·es dans le Sahel et le Maghreb. Un contexte que je me dois de vous présenter, pour comprendre les enjeux et l’environnement dans lequel évoluent les associations qui m’accueillent.
Dans un climat d’intensification de la criminalisation des migrations et plus généralement des politiques migratoires imposées par l’Union européenne, aux tendances toujours plus sécuritaires et attentatoires aux droits humains, les personnes migrantes présentes en Afrique de l’Ouest (qu’elles soient sur le départ, de retour, ou en transit) se voient nier leurs droits les plus fondamentaux, à commencer par celui de migrer, et de fait exclues des voies de circulation autorisées par les États.
Caractérisé comme un pays d’immigration, de transit, et d’émigration, le Sénégal, comme d’autres États de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest), représente un lieu stratégique aux yeux des États membres de l’UE, qui signent avec lui depuis de nombreuses années – en bilatéral ou au nom de l’UE – des accords visant à limiter les mobilités des ressortissant·es africain·es et réprimer les migrations dites irrégulières, moyennant des financements souvent associés à des objectifs « d’aide au développement ». Une multiplication des frontières matérielles comme administratives qui ne laisse d’autres choix aux personnes qui souhaitent migrer que d’emprunter des voies alternatives toujours plus dangereuses au péril de leur vie.
Parmi elles, nombreuses sont celles qui tentent de rejoindre les îles Canaries (archipel espagnol à la hauteur de la frontière entre le Maroc et le Sahara Occidental) depuis le littoral ouest africain à bord de pirogues et qui disparaissent en chemin.
Du fait de la militarisation des frontières terrestres aux enclaves de Ceuta et Melilla, la route des Canaries est de plus en plus empruntée à partir du début des années 2000, provoquant une hausse considérable de morts et de disparitions – notamment durant la « crise des cayucos » (nom donné aux pirogues utilisées pour les traversées) entre 2006 et 2009. Avec l’intensification des violences contre les migrant·es subsharien·nes par les voies nord-africaines, la route des Canaries s’est réactivée en 2018, et depuis le nombre de personnes disparues n’a cessé d’augmenter. Faute de recherches effectives par les États, les proches ne sauront pour la plupart jamais ce qui sera arrivé à leur fille, fils, frère, soeur, conjoint·e, ami·e, tristement inscrit·es sur la longue liste des « personnes disparues en mer ».
En partance du littoral sénégalais, où certains des groupements membres de l’ANPM sont basés (Mbour, Thiaroye, Fass Boye,…), des pirogues partent toutes les semaines ces derniers mois pour tenter la traversée en direction du territoire espagnol. Selon les données récoltées par l’ONG Caminando Fronteras, 11.522 personnes auraient perdu la vie en 2018 et 2022 sur les voies d’accès à l’Espagne, soit six décès par jour. Le constat qui ressort de ces drames est clair. La situation découle d’une série de choix politiques, qui placent les personnes migrantes dans une vulnérabilité structurelle, dès leur départ du pays d’origine et tout le long de leur parcours migratoire, jusqu’à leur décès en mer. L’État espagnol, en coopération avec le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le Sénégal, a volontairement établi des modèles de politique migratoire bilatérale, visant à réduire à la fois la mobilité des migrant·es présent·es dans ces pays (y compris des ressortissant·es) et la protection de leurs droits.
Le triste slogan Barça wala Barsakh (signifie « rejoindre Barcelone ou mourir ») scandé par les sénégalais·es en 2006 est plus que jamais d’actualité encore aujourd’hui au Sénégal, où les jeunes, conscient·es des dangers de la migration, déplorent l’absence d’alternatives ou opportunités dans leur pays capable de les aider à construire un avenir serein, expliquent à son tour le réseau Alarm Phone Sahara.
Investis aux côtés de personnes migrantes (qu’elles souhaitent émigrer, qu’elles soient en transit, ou de retour), l’ANPM et le Réseau Maghreb-Sahel se mobilisent pour faire respecter leurs droits, leurs choix, mais également pour réfléchir ensemble à l’accompagnement de celles et ceux qui sont revenu·es après avoir été refoulé·es, rapatrié·es ou naufragé·es.
Face à cette situation, loin d’être nouvelles, les défenseurs et défenseuses des droits humains présent·es le long des routes migratoires réagissent, s’unissent. Et c’est à leurs côtés que je réalise ma mission, dont l’objectif est de soutenir et valoriser les actions menées au Sénégal et plus généralement dans l’espace Maghreb-Sahel par les organisations de la société civile avec qui le CCFD-Terre Solidaire est partenaire depuis de nombreuses années.
À l’attention des curieux·euses :
Pour plus d’informations au sujet de la caravane organisée par Boza Fii, je vous invite à consulter l’article paru dans Libération, avec en prime, un bout de ma tête sur l’une des photos (preuves que je mentais pas), vous pouvez cliquer sur ce lien.
Concernant les données récoltées par Caminando Fronteras sur la route des Canaries, je vous invite à lire le rapport ou les données complémentaires.
Et pour le travail mené par AlarmPhone, rendez-vous sur leur site internet, ou sur leur dernier article au sujet du Sénégal.
Diplômée en droit international et libertés fondamentales, je me suis ensuite spécialisée sur l’étude des migrations, notamment l’inégalité dans l’accès à la mobilité. Mes différents stages ou engagements militants au sein d’associations de défense des droits des personnes migrantes m’ont progressivement permis de découvrir le large spectre de la solidarité internationale. Les liens entre les différentes luttes pour l’égalité des droits et contre toutes les formes d’oppression me sont alors apparues plus clairs, de même que l’importance de la réflexion collective menée par les acteurs qui composent les réseaux de solidarité.
Ma mission se déroule au Sénégal, aux côtés de l’Association Nationale des Partenaires Migrants (ANPM), qui se mobilise pour le respect des droits des migrant·es et contre les conséquences des politiques migratoires européennes au Sénégal et dans l’espace sahélo-maghrebin, via le Réseau Maghreb-Sahel sur les migrations (RMSM). Partenaire de longue date de l’ANPM et du RMSM, cette mission est co-portée par le CCFD-Terre Solidaire, et vise à soutenir les actions menées par la société civile investie sur le terrain auprès des exilé·es et des familles des personnes mortes ou disparues en migration.