Dans les foyers, les fantômes de la vie collective
Un matin de mars en visite dans quelques foyers de Gennevilliers avec Geneviève du COPAF et Abdallah membre de l’Association des Travailleurs Maghrébins de la ville et ancien résident militant de foyer, Geneviève me raconte : « Ici il y avait le bar, il y avait toujours plein de monde: ceux qui regardaient la télé, ceux qui jouaient aux dominos, c’était très vivant… ». Pourtant nous sommes dans un hall d’immeuble tout ce qu’il y a de plus classique, vide , calme, on n’entend que le bruit de nos pas et on ne croise presque que des boîtes aux lettres. C’est loin d’être la première fois qu’on me raconte, dans un foyer, le passé animé d’une salle aujourd’hui vide, hantée par les souvenirs d’une vie collective.
Code de la construction et de l’habitation : Article L633-1 : « Un logement-foyer, au sens du présent chapitre, est un établissement destiné au logement collectif à titre de résidence principale de personnes dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective. » Les luttes pour des conditions de vie meilleures dans les foyers ont permis d’obtenir la reconnaissance et l’inscription dans la loi de la nécessité d’avoir des espaces de vie collective pour compenser les espaces de vie privée ultra réduits dans les logements-foyers. La vie collective c’est ce qui permet de rendre la vie un minimum digne et agréable dans un habitat difficile. C’est certainement ce que les foyers ont de plus précieux. Cette vie collective qu’on trouve dans les foyers, on ne la trouve nulle part ailleurs.
Dans la cuisine du foyer Abdallah me raconte qu’à l’époque ils organisaient des tournois de foot, des vacances à Deauville, des projections de films etc… Il se passait toujours quelque chose au foyer, il me dit qu’en restant au bar une grande partie de son temps libre, il connaissait tous les résidents et tous les résidents le connaissaient. La vie collective c’est aussi ce qui permet aux résidents de s’organiser politiquement pour faire face à la violence de leur précarité et des gestionnaires peu scrupuleux. Ces derniers l’ont bien compris et font tout aujourd’hui pour limiter le développement de la vie collective dans les foyers.
La réalisation du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM), lancé par le gouvernement en 1997 et visant à rénover tous les foyers, s’est avéré catastrophique pour la vie collective des foyers. Découpage des espaces collectifs en plusieurs salles fermées, mobilier anti occupation, boites aux lettres un plein milieu des hall, l’architecture de la plupart des espaces communs des nouvelles « résidences sociales » a été pensée pour empêcher les résidents de s’y réunir librement. Ajoutez à tout cela des nouvelles conditions ultra restrictives d’accès aux salles collectives qui, dans les faits, rendent leur utilisation impossible par les résidents et vous obtenez des établissements où les résidents n’ont plus aucun espace pour se réunir en dehors des chambres. Les espaces de rencontre entre les résidents s’amenuisent au fil des évolutions du plan de traitement et des politiques des gestionnaires. Ces derniers ont déployé une réelle stratégie de casse de la vie collective et on constate qu’ils sont en partie parvenus à leurs fins. On observe dans beaucoup de foyers transformés que les espaces communs sont beaucoup moins fréquentés qu’avant. On passe d’un mode de vie ultra convivial à du chacun chez soi. Les résidents se croisent moins, se rencontrent moins, se connaissent moins entre eux, se retrouvent plus isolés. C’est surtout vrai pour les nouveaux arrivants alors même qu’il est bien connu que l’isolement est un phénomène terrible pour les personnes les plus précaires.
Alors la vie collective n’a pas totalement disparue des foyers bien sûr, les résidents continuent à s’approprier leurs espaces communs, à prier et à s’asseoir dans les couloirs, à mettre des chaises devant l’entrée pour se raconter des histoires autour d’un thé, à faire des assemblées générales, à célébrer des naissances et à organiser des condoléances dans les salles de réunion. Mais l’épanouissement de cette convivialité historique des foyers est entravée par les politiques répressives des gestionnaires. Et la différence se fait sentir entre les foyers : dans certains on trouve toujours du monde pour discuter dans les parties communes et les portes des chambres sont toujours ouvertes, tandis que dans d’autres on voit des couloirs fantômes totalement silencieux où l’on ose à peine se dire bonjour et des portes fermées à double tour. Et dans ce deuxième type de résidences sociale, les résidences « chacun dans sa chambre » on ne trouve plus de délégués et on n’entend plus émerger de voix collective pour faire valoir des revendications pour de meilleures conditions de vie. Quand chacun reste chez soi, les possibilités de s’organiser ensemble disparaissent. Cette grande opération de casse de la vie collective accompagnant les rénovations est d’une grande tristesse et met à mal le processus démocratique et la vie politique dans les foyers et les résidences sociales.
C’est pourquoi au COPAF nous soutenons les délégués de foyers qui militent pour des espaces collectifs dans les nouvelles résidences sociales, pour qu’ils soient grands et restent disponibles pour les résidents et pour que le vivre ensemble légendaire des foyers ne devienne pas qu’un souvenir.
Olivier, étudiant parisien en master de sociologie spécialisé dans les questions de migrations et de racisme. Fils d’immigré et habitant de quartier populaire parisien, je m’intéresse aux mouvements antiracistes et féministes décoloniaux.
Pour ma mission, je suis envoyé par le CCFD-Terre solidaire en Ile-de-France au sein du Collectif Pour l’Avenir des Foyers (COPAF) pour apporter un soutien aux résidents de foyers de travailleurs migrants face aux politiques répressives de l’Etat et des gestionnaires de foyers.
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