Rencontre avec le grand méchant loup (ADOMA)

Le 6 décembre dernier avait lieu une réunion de rencontre entre d’un côté le comité de délégués du foyer Adoma de la Noue à Montreuil et de l’autre, le personnel d’Adoma, gestionnaire du foyer, avec son nouveau directeur territorial du département de Seine-Saint-Denis, monsieur G. Je devais me rendre à cette réunion avec Geneviève, une militante de longue date du COPAF qui connaît ADOMA comme sa poche, pour appuyer la parole du comité. Cela faisait un mois et trois jours que je travaillai au sein du COPAF et le nombre de fois où j’avais entendu ou lu le nom d’ADOMA était incalculable. À tel point que j’aurais pu en faire des cauchemars. J’allais enfin rencontrer ce gestionnaire dont on me disait tant de bien !

« Ici, Adoma construit » – Affichage au sujet des travaux de réhabilitation au foyer Gergovie dans le 14ème arrondissement parisien.

Pour lui faire face, il faut s’y préparer

Avec Geneviève, ancienne présidente du COPAF, toujours très active auprès des foyers du 93 notamment, nous avions rencontré le comité de délégués des résidents du foyer trois jours auparavant, afin de préparer cette réunion avec ADOMA. Nous avions élaboré ensemble une liste de revendications concernant l’état actuel du foyer d’une part, et le plan de réhabilitation du foyer d’autre part à propos duquel nous avions obtenu des informations sur un document public de la ville que nous avait partagé nos camarades d’APPUII travaillant sur le plan de rénovation urbaine du quartier. Les camarades délégués nous disent qu’ADOMA préfère rencontrer le comité seul, sans le COPAF, et leur présente cette réunion comme une rencontre de courtoisie entre gens de confiance. Mais les délégués ne sont pas dupes, M. Doucoure, délégué de longue date, connaît les méthodes d’ADOMA et sait qu’il ne vaut mieux pas se retrouver isolé face à Adoma, au risque de se laisser embobiner par leur discours manipulateurs.

La veille de la réunion, Geneviève m’appelle pour m’annoncer qu’elle a attrapé le Covid et que je serais le seul représentant du COPAF lors de ma première rencontre avec ADOMA. Sachant que nous n’étions pas forcément les bienvenus à cette réunion, Geneviève me dit de me présenter comme le secrétaire du comité, uniquement là pour prendre des notes. Je me posai alors beaucoup de questions sur le déroulé de la réunion, sur l’attitude à adopter et la place que je devais prendre, en tant que représentant du COPAF, dans cette réunion. Devais je seulement prendre des notes et laisser les délégués développer leurs revendications ? Ou alors devais prendre la parole pour les appuyer, en prenant bien garde de ne parler à leur place ? Je finis par me dire que c’était ma première réunion face à ADOMA et que je devais adopter une posture de simple observateur en découverte.

Rencontre avec Adoma

Le rendez-vous est à 16h, un mardi, dans la salle de réunion d’un foyer de Saint-Denis qui a la particularité d’accueillir des bureaux d’ADOMA. Geneviève me transmet la liste des revendications, qui a été envoyée à ADOMA en vu de préparer cette réunions. J’arrive à 16h à l’adresse indiquée, il fait froid, j’aperçois la plaque Adoma à l’entrée, des chaises alignées tout le long du mur extérieur et sur l’une d’entre elles un homme âgé vêtu d’un boubou en train de préparer du thé, je suis bien au foyer ! J’appelle Ibrahima Traore, un des délégués, que j’ai rencontrer une semaine auparavant, il me rejoint à l’entrée. Il me dit que ses camarades sont en route, venant de Villeneuve ou de Paris. Nous sommes mardi, un jour de travail. Nous les attendons avant de commencer la réunion. La liste des revendications sous les yeux, nous révisons avec Ibrahima. Il me dit qu’à son arrivée ici, on lui a à peine dit bonjour et qu’on lui a demandé d’attendre dehors, il me parle de son sentiment de ne pas être considéré.

Aux alentours de 16h30, monsieur G, directeur territorial d’Adoma, sort de son bureau. Il est vêtu d’un costume avec une doudoune légère sous la veste, vous voyez de quelle doudoune il s’agit, tout le monde les déteste ces doudounes. Monsieur G salue d’abord M. Traore puis moi-même avec une poignée de main ferme. Comme prévu, je me présente comme secrétaire du comité chargé de la prise de notes mais monsieur G comprend vite que je suis ici au nom du COPAF. Nous attendons deux camarades du comités, M. Doucoure et M. Diallo, encore dans les transports, avec qui nous rejoignons la salle de réunion. Au centre de la salle se trouve une grande table, d’un côté le personnel d’Adoma, sept personnes dont monsieur G au milieu. Ce dernier avait demandé aux délégués de ne pas venir à plus de cinq personnes, c’était « une petite réu entre nous, pour se rencontrer ». Avec les camarades nous sommes invités à nous asseoir, je m’installe pile en face de monsieur G, messieurs Traore et Doucoure à ma droite. M. Diallo, entré en dernier, se dirige vers l’extrémité de la table à ma droite, pour être proche de ses camarades. C’est alors que M. G l’interpelle : « Mettez vous là M. Diallo. » en pointant une chaise à ma gauche, en plein milieu de la tablée. M. Diallo s’exécute, il m’énerve déjà ce monsieur G, à décider de qui doit s’asseoir où.

La réunion

« Chantier interdit au public » – Affichage au sujet des travaux au foyer Marc Seguin dans le 18ème arrondissement parisien.

C’est au comité de prendre la parole, c’est lui qui a convoqué cette réunion, M. Traore commence en faisant la liste des points qu’ils veulent aborder. Quelques secondes après s’être lancé, il est interrompu par monsieur G, très agité à l’évocation du plan de réhabilitation du foyer la Noue, au sujet duquel nous avons obtenu des informations sur un document et dont nous avons pu discuter dans une réunion entre habitant·e·s du quartier. Monsieur G aimerait qu’on commence par parler de cette réhabilitation, c’est lui qui décide par quoi on commence. Il est remonté, confus, comment avions nous obtenu ces documents ? Et puis Monsieur G a entendu dire que ni la mairie ni aucun·e représentant·e de la ville n’était présent·e à cette fameuse réunion du 26 novembre. Que vaut une réunion sans représentant·e institutionnel·le ? S’ensuit une longue tirade pour délégitimer nos sources d’informations et nous faire douter des données que nous avons sur le plan de réhabilitation.

Monsieur G nous raconte avec précision, et autant de termes techniques que possible, les longues étapes de l’élaboration d’un plan de réhabilitation. Je sens que les camarades se laissent endormir par le long monologue de monsieur G, je sors alors de ma posture passive pour le contredire, c’était une réunion entre habitants et ces documents sont publics et disponibles avec le reste du plan de l’ANRU. Je demande si les informations du document sont fausses, on me répond que non. Je comprends alors que ce qui embête monsieur G c’est qu’à ce stade de l’élaboration du plan de réhabilitation, Adoma n’avait pas prévu de divulguer d’informations aux résidents, et que ces documents secrets partagés aux yeux de toustes par la ville les mettent donc dans l’embarras. Monsieur G va jusqu’à gratifier l’ANRU d’un nom d’oiseau que je me garderai bien de répéter, il a demandé de ne pas le retranscrire dans le compte rendu. Monsieur G affirme que ce sont les payeurs des travaux de réhabilitation qui prennent les décisions et rappelle que les résidents ne comptent pas parmi les investisseurs. Ça c’est de la démocratie ! Monsieur G termine en disant que des réunions de concertation au sujet de la réhabilitation auront lieu un an avant le début des travaux en insistant sur le fait que certains aspects du plan ne pourront être changés. En gros, tout sera déjà décidé par les architectes et surtout par ceux qui les paient.

Rapport de force et violence symbolique

Le reste de la réunion est tout aussi intéressant, entre mauvaise foi et cynisme crasse d’Adoma, mais je m’arrêterai là pour cette fois-ci. Je souhaitais seulement avec ce texte partager ma rencontre avec Adoma et montrer l’attitude des représentant·e·s de la structure, fidèles à leur réputation à en être une caricature. Mauvaise foi, non-réponses aux questions, vocabulaire technique et détours alambiqués pour tromper les délégués en jouant sur le fait que le français n’est pas leur langue maternelle, voilà à quoi ressemblent les méthodes d’Adoma. On peut ajouter à cela la répartition complètement inégale du temps de parole avec des monologues interminables du directeur territorial. C’est lui qui décidait par ailleurs de quel sujet il fallait parler et quand il fallait passer à autre chose. Bien sûr, les délégués ne se laissaient pas faire, monsieur Doucoure n’en démordait pas pendant la réunion, il connaît trop bien Adoma pour se laisser avoir, mais le vocabulaire, le ton, les interruptions incessantes et le terrain de discussion imposé par Adoma ne permettent pas à des travailleurs vivant loin du langage institutionnel de pouvoir s’exprimer et se défendre correctement face à des personnes formées et habituées à produire des discours trompeurs et manipulateurs.

À titre personnel, devant la frustration des délégués pas assez préparés pour contrecarrer les méthodes bien ficelées d’Adoma, je me suis permis d’intervenir à plusieurs reprises, quand cela me semblait important, pour recentrer la discussion sur les revendications du comité lors des innombrables tentatives d’esquive d’Adoma ou pour enjoindre le personnel à donner des réponses claires. Je me pose encore des questions sur le rôle que j’ai pris durant la réunion, l’idéal serait que les comités puissent se passer de nous pour faire face à Adoma mais le rapport de force est là, les codes de légitimité des discours, bien ancrés dans les discussions formelles, ne jouent pas en la faveur des travailleurs migrants, Adoma le sait et en joue dans ses relations avec les résidents. Le Copaf est là pour appuyer les représentants de résidents de foyers et tenter de contrebalancer un tant soit peu ce rapport de force.

Bien que j’ai été préparé à cette rencontre, j’ai été surpris de la violence symbolique employée par Adoma, de la malhonnêteté du discours développé ainsi que des arguments purement capitalistes et anti-démocratiques utilisés. Je suis révolté par ces méthodes et plein de rage pour continuer à appuyer les résidents de foyers dans leurs luttes face aux gestionnaires, pour défendre leurs droits, pour un logement digne et pour l’avenir des foyers.

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