Tunis(ie) : un tour d’horizon
À peine mes valises posées que je pars déjà explorer Tunis. La capitale me semble immense mais chaleureuse ; elle me paraît familière. Je vous emmène avec moi dans une visite de la ville, occasion idéale pour retracer l’histoire de ce pays et évoquer le contexte de ma mission.
Dès mon trajet en taxi entre l’aéroport et l’hôtel bon marché que j’ai réservé, je suis surprise par le nombre de panneaux publicitaires aux slogans exclusivement écrits en français que je croise. Le lendemain, je me fais la même réflexion, mis à part que les noms des boutiques sont plus souvent écrits à la fois en français et en arabe tunisien. En Tunisie, la grande majorité des habitants sait parler couramment français[1].
Les billets de banque sont écrits en arabe d’un côté et en français de l’autre. Tout cela est un héritage du passé colonial du pays. La Tunisie a été un protectorat français de 1881 à 1956. Durant cette période, le français est imposé à travers les institutions, notamment l’éducation. C’est après une lutte de longue haleine et une guérilla de trois ans que la Tunisie devient finalement indépendante.
En débouchant par hasard sur l’avenue Habib Bourguiba, à la recherche de mon futur logement, je me remémore ce que j’ai pu lire et entendre sur cette figure si importante mais à la fois controversée.
Engagé dans la lutte pour l’indépendance, Habib Bourguiba contribue à mettre fin à la monarchie et à proclamer la République. Il est président de celle-ci de 1957 à 1989. Durant cette période, un État moderne se construit et la société civile gagne en dynamisme. Néanmoins, malgré certains progrès sociaux, ses mandats successifs sont marqués par un fort culte de la personnalité et l’instauration d’un régime de parti unique. C’est son premier ministre Zine el-Abidine Ben Ali qui lui succède. La présidence de ce dernier prend un fort tournant autocratique. Le mécontentement populaire et la situation économique dégradée donnent lieu à la révolution de 2011. Celle-ci conduit au renversement du régime et au départ de Ben Ali.
S’ensuit une période de transition et une nouvelle Constitution est adoptée en 2014. Des élections non-truquées ont lieu pour fonder un gouvernement post révolutionnaire. Les législatives sont remportées par deux partis de gauche laïques dont Nidaa Tounes, et par Ennhada, parti islamiste. Par la suite, le contexte politique est resté instable et le paysage politique est devenu de plus en plus flou. Une partie de la population s’est radicalisée devant l’échec du mode de fonctionnement démocratique. Pour satisfaire les injonctions du FMI (Fonds Monétaire International), les budgets des programmes sociaux ont été réduits voire supprimés. La corruption a subsisté et la situation économique et sociale s’est dégradée. Le président actuel, Kaïs Saïed a été élu en 2019. Sa dérive autocratique est indéniable. Par décrets présidentiels, il abroge des pans entiers de la Constitution de 2014 et se permet notamment de geler le Parlement et même dissoudre l’Assemblée des Représentants du Peuple, ce que Ben Ali n’avait pas osé.
On retrouve également l’influence de la colonisation française à travers l’architecture. La conception de certaines façades du centre-ville relève du style haussmannien. Le plan quadrillé du centre-ville est également un héritage colonial.
J’ai également été surprise par les prix très bas. Le dinar tunisien a connu une forte dévaluation depuis 2011. Cela s’explique notamment par les conditionnalités aux prêts imposées par le FMI, pour lequel encourager la dévaluation du dinar tunisien revient à augmenter la compétitivité de l’économie tunisienne. Or, cette perte de valeur de la monnaie tunisienne a fait exploser le coût de la dette, devant être remboursée en devises étrangères.
Conditionnalités :
La Tunisie comme les autres pays du Maghreb, devant recourir aux prêts du FMI pour financer ses dépenses publiques, est contrainte d’aligner ses politiques sur les politiques néolibérales standardisées que le FMI préconise pour tous les pays « en voie de développement ». Or, celles-ci font fi des particularités régionales, locales, historiques, politiques, géographiques et sociales de chaque pays. Par conséquent, ce moyen de financement de la dette a un impact négatif fort sur les pays du Maghreb et en particulier sur la Tunisie, et sa dimension est indéniablement néocoloniale.
En cherchant un restaurant pour manger le midi, j’en repère un sur internet. Le menu affiche des prix relativement raisonnables, autour de 15 dinars le plat (environ 4,80 €). Cependant, la photo du menu avait été postée trois ans auparavant. Je décide tout de même de m’y rendre. En prenant connaissance des prix là-bas, je vois qu’ils ont presque doublé. Depuis 2011, l’inflation progresse en Tunisie. Elle est particulièrement forte cette année, dépassant les 8% au mois de septembre 2022. En outre, au lendemain de la pandémie de Covid-19, les économies des pays du Maghreb sont d’autant plus affaiblies. La situation économique continue de s’assombrir et le nombre de migrations ne cesse d’augmenter.
Poursuivant ma visite, je remonte vers le nord de Tunis. Je tombe par hasard sur les locaux de l’USTMA (l’Union Syndicale des Travailleurs du Maghreb Arabe).
Cela me rappelle ce que l’on a pu me dire à propos de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), principal syndicat tunisien. Stable, il a une véritable force de frappe politique et s’ancre dans l’histoire de la Tunisie indépendante. Les syndicats restent relativement libres malgré la restriction de plus en plus importante de la liberté d’expression. La force de la Tunisie a toujours été la vivacité de sa société civile, son dynamisme. Beaucoup d’associations défendent les droits des citoyen.ne.s, résistent face au tournant autoritaire. On peut citer la ligue tunisienne des droits de l’homme, l’association tunisienne des femmes démocrates, la FTCR (Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives)…
Le soir même, après le cours d’arabe, les autres élèves m’apprennent qu’il y avait une grève du « métro » (le tramway là-bas) ce jour-là. Tout cela témoigne de la capacité des tunisien·ne·s à faire entendre leur mécontentement et à agir pour défendre leurs droits.
Je termine cette visite avec mon arrivée à l’OTE (Observatoire Tunisien de l’Économie), le lendemain matin. Zoé, directrice exécutive de l’association et ancienne volontaire d’Échanges et Partenariats m’accueille chaleureusement. Je rencontre progressivement les différent·e·s salarié·e·s de l’association. Zoé m’explique rapidement le gros dossier du mois de novembre : l’organisation d’un évènement autour du Global Tax Agreement (Accord Fiscal Mondial). Initiative de l’OCDE, cet accord sera défavorable aux pays « du sud », dont la Tunisie, qui mettent en place des incitations fiscales à moyen voire long terme pour attirer les multinationales. Ce nouveau système de taxation bénéficiera essentiellement aux pays « du nord » dans lesquels se trouvent les sièges des multinationales, et obligera les pays dans lesquels l’activité a lieu, à renoncer à leur taxe sur les services digitaux [2]. Le taux minimum d’imposition sur les revenus des multinationales, fixé à 15% est considéré par beaucoup de personnes comme trop faible.
De manière générale, cet accord entraînera un manque à gagner pour les pays « du sud » qui ont besoin de ces recettes pour financer leurs dépenses publiques. Cela ne fera qu’accroître leur dépendance vis-à-vis des prêts des institutions financières internationales, renforcer leur assujettissement aux conditionnalités, perpétuer le cercle vicieux de cette « dette odieuse » et consolider cette dynamique néocoloniale.
La mission
La principale activité de l’OTE est d’analyser les politiques des institutions financières internationales et leurs impacts sur les politiques publiques tunisiennes et sur les droits des citoyen.ne.s. Vulgariser les informations autour des politiques économiques permet de les rendre accessibles et compréhensibles par un grand nombre de personnes. Ces ressources permettent de susciter et d’appuyer des mobilisations pour la défense des droits. L’OTE met également directement en place un plaidoyer politique.
Tout l’intérêt du partenariat entre IPAM (Initiatives Pour un Autre Monde), mon organisation d’envoi, et l’OTE, mon organisation d’accueil, est de fédérer des luttes, à différentes échelles, pour des politiques économiques fondées sur les droits, mais aussi de préparer le contre sommet Banque Mondiale et FMI qui aura lieu au Maghreb, plus précisément au Maroc, à l’automne 2023.
Ainsi s’achève notre visite de (la) Tunis(ie). Je reviendrai prochainement vers vous concernant le Global Tax Agreement, mais aussi concernant le programme sur la dette qui occupera la majeure partie de mon année.
[1] Christian Valantin (dir.), La Francophonie dans le monde. 2006-2007, Paris, Nathan, 2007, p.16
[2] https://rosaluxna.org/fr/publications/accord-fiscal-mondial-perspectives-de-tunisie/
Sources des photos : photos personnelles
Diplômée d’une double licence d’économie et de sciences politiques et sociales, je m’intéresse aux effets des politiques économiques sur la société et notamment sur les droits des citoyens.
En tant que volontaire de la session 25 du programme Echanges & Partenariats, je suis envoyée par le réseau IPAM (Initiatives Pour Un Autre Monde) auprès de l’OTE (Observatoire Tunisien de l’Economie) pour étudier les impacts de la dette et des politiques des institutions financières internationales sur les droits humains, dans le but de renforcer les résistances aux politiques actuelles et les mobilisations autour d’un modèle de développement juste et durable.
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