Au delà de la Willkommenskultur
L’été 2015, l’Allemagne a accueilli des dizaines de milliers de personnes exilées et a ainsi attiré l’attention du monde entier. Par ce coup d’éclat, le pays a montré que les portes de l’Europe pouvaient s’ouvrir par solidarité et a diffusé l’idée d’une certaine « Willkommenskultur » à l’allemande. Pourtant, la réalité des politiques migratoires allemandes est plus complexe et, à y regarder de plus près, n’est pas tout à fait un exemple de l’accueil attendu.
L’Allemagne, on s’en souvient, c’est ce pays qui a accueilli près d’un million de personnes réfugiées en 2015, ouvrant la route des Balkans, bravant les accords de Dublin et désenclavant la frontière hongroise. Face à un redoublement des violences en Syrie, à deux naufrages terribles d’embarcations en Méditerranée et à l’afflux de plus en plus de personnes en Europe, l’opinion publique a commencé à changer de regard sur la migration et à se mobiliser. A la fin de l’été 2015, la chancelière Angela Merkel a enfin déclaré ouvrir les frontières du pays pour les demandeurs.ses d’asile bloqué.e.s en Hongrie [1]. Des centaines de milliers de personnes sont alors arrivées dans le pays, marquant les esprits par des images fortes, comme celle des trains arrivant en gare de Munich sous des pluies d’applaudissements [2]. Ainsi devait s’achever « l’été de la migration », représenté par la phrase emblématique d’Angela Merkel « Wir schaffen das », qui a posé les jalons de la « culture de l’accueil » à l’allemande.
Mais, derrière les projecteurs, comment le pays a-t-il organisé l’arrivée de ces personnes ? Laura Bonn, chercheuse sur les migrations avec qui j’ai eu la chance de discuter, nuance ma vision idéalisée de l’accueil à l’allemande : à Berlin, la situation a été très difficile [3]. Les infrastructures ont été submergées et n’ont pas su offrir de prise en charge adéquate. Résultat : de nombreuses personnes se sont retrouvées à la rue et dans une grande pauvreté.
Le discours d’accueil de la Chancellerie allemande s’est également rapidement dissipé et a laissé la place à un climat répressif. Deux lois – Asylpaket I et II – ont été introduites dès l’automne 2015 et ont réinstallé l’interdiction de travailler pour les personnes en demande d’asile, les expulsions sans préavis, les allocations en nature uniquement, le tout dans un climat administratif général d’augmentation des rejets des demandes d’asile [4]. Elles inscrivent également juridiquement deux catégories de personnes : celles avec de « bonnes perspectives de rester » sur le territoire, et les autres. Ces dernières sont dans l’obligation de rester dans des logements collectifs de premier accueil le temps de l’examen de leur demande d’asile, dans des conditions d’inconfort censées être « dissuasives » et coupées de contact avec la société extérieure [5]. Toutes ces mesures s’apparentent, selon la sociologue Sophie Hinger, davantage à des politiques de désintégration que d’intégration [6].
La « culture de l’accueil » vantée dans les médias en 2015 a donc de quoi être remise en question. Toutefois, ces conjonctures exceptionnelles ont suscité une indignation de la société civile, qui s’est mobilisée massivement pour proposer des solutions en dehors des systèmes institutionnels. De nombreux collectifs ou structures qui constituent la scène engagée Berlinoise font d’ailleurs partie de ces initiatives citoyennes qui perdurent encore aujourd’hui. Ces mouvements sont multiformes : laïques ou religieux, politiques ou apolitiques, citoyens ou liés à des organisations tierces. Ils regroupent nombre d’acteurs associatifs, militants ou volontaires indépendants. Une étude de 2017 menée par l’institut Allensbach nous apprend que 55% des Allemand.e.s ont participé à l’intégration de personnes réfugiées depuis 2015, tant sur un plan politique que sur un plan pratique [7]. Il en va de même pour les collectifs de réfugié.e.s qui ont joué un rôle primordial, tant pour les l’accompagnement des nouveaux.elles arrivant.e.s que pour porter leurs voix sur la scène politique.
Angela Merkel le souligne d’ailleurs dans un de ses derniers entretiens en tant que Chancelière allemande : « Oui, nous avons réussi. Mais dans ce contexte, « nous » correspond à un grand nombre de personnes qui ont prêté main forte : beaucoup de maires, de bénévoles et d’individus qui jusqu’à aujourd’hui continuent d’apporter leur soutien » [8]. Les échelles d’action sont multiples et le local apparaît comme indispensable pour penser et acter une gouvernance plus juste des migrations.
Ce climat général a donc permis la naissance, le renforcement ou la mise en réseau de nombreuses initiatives civiles, qui pourraient être ainsi considérées comme les véritables sentinelles de la « Willkommenskultur » allemande.
[1] Steinhilper Elias (2019) « Dynamiques de protestation politique des exilés afghans à Berlin : entre « silence » et « prise de parole » », Critique Internationale, Presses de Science Po, n°84, p68
[2] https://www.theguardian.com/world/2015/sep/05/refugee-crisis-warm-welcome-for-people-bussed-from-budapest
[3] Entretien en vidéo-conférence du 27/10/2021
[4] Steinhilper Elias (2019) op. cit., p68
[5] Steinhilper Elias et Hinger Sophie (2017) « L’accueil allemand, un modèle pour la France ? », Pleins Droits, GISTI, n°115, p8
[6] Hinger Sophie (2020) « Integration Through Disintegration? The Distinction Between Deserving and Undeserving Refugees in National and Local Integration Policies in Germany » In Hinger Sophie et Schweitzer Reinhard (eds) Politics of (Dis)Integration, IMISCOE Research Series, Springer Cham
[7] Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend, 2017, Engagement in der Flüchtlingshilfe Ergebnisbericht einer Untersuchung des Instituts für Demoskopie Allensbach, p8.
Le rapport place dans la notion « d’engagement pour l’aide au réfugié.e.s » la prise de position publique, signature de pétitions, les cours de langue, l’aide au logement, soutien administratif ou matériel, ou simplement de « passer du temps avec eux » (« Freizeit mit Flüchtlingen verbringen »)
[8] https://www.youtube.com/watch?v=WMvoxx7XFuc (ma traduction)
Volontaire de la session 24 de Échanges et Partenariats, je suis envoyée par l’OCU et l’ANVITA à Berlin, où je serai accueillie par le mouvement Seebrücke. Je prends part à un projet de l’Alliance Migration, qui travaille à la promotion d’une gouvernance alternative des migrations, partant des initiatives de collaboration entre société civile et autorité locales.
Diplômée d’un master de Sciences Sociales de la Santé, j’habite à Berlin depuis deux ans.
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