Donnez la force aux femmes

Pour les 6 prochains mois, Femmes de la Terre, le CCFD-Terre Solidaire et Échanges et Partenariats me proposent de mener une mission de solidarité avec les femmes exilées1 et de contribuer à soutenir leurs luttes. C’est pour moi l’occasion de faire converger les luttes féministes et la lutte pour les droits des personnes exilées.

Lorsque l’on rentre pour la première fois au sein de l’association Femmes de la Terre, on voit directement un grand collage, des lettres noires sur des feuilles A4 collées à la suite les unes des autres sur le mur arborent la phrase : Donnez la force aux femmes. Ce message est celui de femmes exilées accompagnées par l’association.

Les collages attirent toujours mon œil lorsque je me balade dans les rues. Les grosses lettres noires prennent beaucoup de place sur le mur et cherchent à nous interpeller. C’est pour certain.e.s un exutoire, une manière de visibiliser son vécu, ses combats, de créer un moment de partage avec des personnes qui nous comprennent. Ces collages permettent de visibiliser des messages qui n’auraient pas été visibles autrement. En cela, voir ces grosses lettres noires sur fond de feuille A4 me touche particulièrement.

photo prise par Laureline Guigon (Femmes Entraide Autonomie)

L’invisibilisation de la migration des femmes

Alors que les féministes ont mis en avant le langage inclusif, on se rend compte que les mots « migrants » et « étrangers » façonnent nos imaginaires et invisibilisent les femmes exilées. Comme le dit la chercheuse Elsa Tysler, l’image de l’homme migrant célibataire sois-disant dangereux semble plus efficace pour alimenter un discours de peur.2

Les femmes exilées représentent pourtant 52 % des personnes migrantes arrivant en France et elles sont entre 15 et 20 % sur les routes de l’immigration « irrégulière».3 Si notre vision de l’immigration est biaisée ce n’est pas seulement de part le traitement médiatique et les discours politiques, mais aussi parce que la recherche ne s’est intéressée aux migrations des femmes que très tard. Elle ne met en lumière les migrations féminines que dans les années 1990 alors que les femmes migrent depuis le XIXe siècle.4

Cette invisibilisation revêt cependant aussi d’une stratégie mise en œuvre par certaines femmes exilées qui s’auto-invisibilisent sur les routes de l’exil pour mieux se protéger. Elles évitent les espaces publics et certains quartiers d’immigration pour ne pas être assimilées aux stigmates des populations migrantes.5

La double violence des femmes exilées en France

Les femmes exilées vivent une double violence à la fois du fait de leur genre mais aussi du fait d’être migrantes. Elles sont souvent victimes de violences sexistes et sexuelles sur les routes de l’exil, et ces violences ne s’arrêtent pas une fois arrivées en France.

Selon une étude sortie le mois dernier, une demandeuse d’asile sur quatre est victime de violences sexuelles lors de la première année en France.6 En effet la précarité dans lesquelles sont mises les femmes les rendent particulièrement vulnérables aux chantages sexuels notamment dû au manque de logement.

La double violence est aussi la violence sexiste et étatique vécue par les femmes en France. Le collectif « Action et droits des femmes migrantes et exilées », dont fait partie Femmes de la Terre, alerte sur la condition des femmes migrantes victimes de violences conjugales. Leur droit au séjour dépend alors de la communauté de vie, et cette dépendance donne tout pouvoir à leur mari. Ainsi l’administration ne prend pas en compte la difficulté des femmes exilées à porter plainte avec le risque de se faire arrêter et à devoir prouver les violence vécues, pour garder un droit au séjour en France.

La double violence peut aussi se traduire par le racisme et le sexisme vécus par les femmes exilées en France. En effet, certaines femmes exilées peuvent être victimes d’islamophobie lorsqu’elles portent le foulard, les empêchant de trouver un travail à la hauteur de leurs qualifications en France.7

Une vision stéréotypée des femmes exilées

Tout d’abord la réalité des migrations féminines va à l’encontre de la vision stéréotypée de la femme sédentaire, immobile, qui ne migre que pour suivre son conjoint. Elles sont en effet nombreuses à partir seules de leur pays et à avoir leur propre projet migratoire.8

Un autre stéréotype, est de voir la femmes exilée uniquement comme victime.9 Si la prise en compte des violences sexistes et sexuelles vécues par les femmes exilées est importante, les voir uniquement sous ce prisme ne rend pas compte de leurs mobilisations.

En effet les femmes exilées sont engagées de différentes manières. L’acte de migrer peut être pensé comme contestataire en soit, puisque qu’il refuse l’assignation à une place. Des femmes exilées se sont aussi mobilisées sur le terrain, revendiquant leurs droits. La grève des travailleuses de l’hôtel IBIS en est un exemple et s’inscrit dans les luttes de longue date des travailleuses dans les métiers du care.10

Ainsi parler des mobilisations des femmes exilées est essentiel pour rétablir la place qu’elles ont eu dans l’histoire des luttes. On observe bien une tendance à oublier la part qu’ont eu les femmes dans les mouvements sociaux. Les chercheur.se.s déplorent aussi très peu de recherches sur les mouvements et les luttes de femmes immigrées.11

Cette mission va ainsi pouvoir me donner l’occasion d’explorer les associations et collectifs de femmes exilées, d’en apprendre plus sur l’histoire de leurs mobilisations ainsi que leurs mobilisations actuelles.

photo prise par Laureline Guigon (Femmes Entraide Autonomie)

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1 Si je parle ici uniquement de « femmes » exilées, c’est parce que les associations avec lesquelles je travaille se concentrent sur ce public-là. De plus, les articles sur lesquels je me base présentent une vision binaire homme-femme et ne parlent pas des questions de minorités de genre, personnes trans, non binaires et intersexes. Ma mission sera aussi l’occasion d’élargir mon angle d’analyse sur la question genre plus généralement.

2 Fatoumata Sillah,« La stratégie d’invisibilisation des femmes sert à légitimer une lutte violente contre l’immigration », Le Monde [en ligne], mis en ligne le 13/12/2022, consulté le 24/10/2023.

3 Camille Schmoll, « Femmes migrantes invisibles » LSD la série documentaire, France Culture, mis en ligne le 6/10/2021.

4 Manuela Martini , « Femmes, genre et travail en migration, xixe-xxie siècles », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 23/03/2021 , consulté le 24/10/2023. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/14116

5 Lydie Déaux, Alice Latouche and Benjamin Naintré, Compte rendu de la conférence de Camille Schmoll, cycle “l’Atelier du Savoir”, Espace Mendès France, Poitiers, 11 octobre 2018, par. 7.

6 Jérémy KHOUANI et Maeva JEGO, « incidence élevée des violences sexuelles parmi les femmes migrantes nouvellement arrivées en France », The Lancet Regional Health – Europe

7 Camille Schmoll, dans « Femmes migrantes invisibles » LSD la série documentaire, France Culture, mis en ligne le 6/10/2021.

8 Beauchemin, Borrel et Régnard, 2016.

9 Mirjana Morokvasic, « La visibilité des femmes migrantes dans l’espace public », Hommes & migrations, 1311 | 2015, 7-13.

10 Grève à l’Ibis Batignolles : après 22 mois de lutte, les femmes de chambre victorieuses (ouest-france.fr)

11 Mirjana Morokvasic, « La visibilité des femmes migrantes dans l’espace public », Hommes & migrations [En ligne], 1311 | 2015, mis en ligne le 01 juillet 2018, consulté le 24 octobre 2023, Par. 25. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/3234 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.3234