Handicap(s) et sexualités
Il y a quelques semaines de cela j’ai pu rendre visite à la Fondation Emmaüs de Buenaventura en Colombie. Ce groupe vient en soutien aux enfants, adolescent·e·s, jeunes adultes et adultes en situation de handicap(s) et à leurs aidant·e·s. Elle permet aux familles d’avoir un appui et des conseils dans l’accès à leurs droits, notamment l’accès aux soins. L’association organise également des conférences, des groupes de parole, et des événements pour sensibiliser la société au sujet des handicaps. Ada Montroy est la responsable du groupe. Ensemble, nous avons pu échanger sur la situation de handicap(s) et la sexualité.
Ada m’a notamment expliqué que son association Emaus Buenaventura avait récemment organisé une conférence consacrée spécifiquement à la sexualité et les handicaps, à l’occasion d’un événement de sensibilisation dédié à ces mêmes thématiques. Un sujet encore fortement tabou et peu abordé. Nous avons alors parler de la difficulté pour les personnes en situation de handicap(s) d’avoir accès à une vie sentimentale et/ou sexuelle.
Je souhaite aborder avec vous dans ce court article trois situations auxquelles les femmes en situation de handicap(s) peuvent être confronté·e·s, que ce soit en Colombie ou en France.
Etre une femme en situation de handicap(s) : l’impensé du désir et du plaisir
Etre une femme en situation de handicap(s), c’est être pensée comme une personne asexuée, sans désir, ni plaisir. C’est être rejetée de tout ce pan de la vie, parce que nous sommes dans une société patriarcale qui s’intéresse avant tout au désir de l’homme et des personnes dites « valides ». Dans l’étude exploratoire : Handicap, violences et sexualité au prisme du genre (1), réalisée par le Conseil des Femmes Francophones de Belgique, il est expliqué comment les femmes porteuses de handicap(s) sont : « niées dans leur état de sujet et partenaire désirante et désirable par les normes sociales patriarcales de la désirabilité – le male gaze (regard masculin) – posées sur les femmes, qui considèrent le handicap comme un motif de dégoût sexuel”. De fait, la sexualité n’est quasiment jamais abordée auprès des jeunes femmes en situation de handicap(s), l’argumentaire étant que si elles ne sont pas objets de désir pourquoi les penser comme sujets de désir, et personnes à sensibiliser sur la thématique. Aucun intérêt n’est alors porté sur leur propre corps ou leur propre plaisir. C’est ainsi qu’Ada la responsable du groupe Emaus Buenaventura a mis en place auprès des femmes accompagnées par l’association des ateliers de sensibilisation au plaisir féminin.
Forcer de constater que ce droit à la sexualité est traité de manière bien différente par le corps médical en fonction du genre de la personne en situation de handicap(s). Pour les hommes en situation de handicap(s), beaucoup d’entre eux seront mis en lien avec des travailleuses du sexe, pour leur faire découvrir leur corps, les limites du toucher, leur plaisir… pour les femmes c’est à peine s’il sera évoqué comme une possibilité. Pourtant, Marcel Nuss, explique justement dans son livre Handicaps et sexualités – Le livre blanc (2), la difficulté pour les personnes en situation de handicap(s) de se réapproprier leurs corps vis-à-vis de la société : “Déconnectées de leur corporalité, elles ont besoin d’être aidées à se réapproprier leur corps, à l’apprivoiser et à mieux le maîtriser.”. Dans ce livre Marcel Nuss parle d’une nécessité d’une révolution culturelle pour que la société accepte ces corps différents et leur donnent accès aux mêmes droits.
Etre une femme en situation de handicap(s) : des violences sexuelles et physiques démultipliées
Etre une femme en situation de handicap(s) ne veut pas pour autant dire être épargnée des processus de violences physiques et sexuelles du monde patriarcale, bien au contraire. En France, 35 % des femmes en situation de handicap subissent des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19% des femmes dites valides (3). Près de 90% des femmes avec un trouble du spectre de l’autisme subissent ou ont subi des violences sexuelles, dont 47% avant 14 ans (3). La violence sexuelle vécue par les femmes en situation de handicap prend plusieurs formes telles que la violation de l’intimité, les mesures de contention et d’isolement, les fouilles à nu, le viol par un membre du personnel ou d’un patient/résident d’une institution, l’avortement forcé, la stérilisation forcée, etc. D’une manière plus ou moins paradoxale, elles sont à la fois privées de leur désir, mais se voient imposer et subir celui des autres, comme une forme de domination encore plus forte, une démonstration par la force que ce corps ne vaut rien d’autre que le fait d’être abusé, et violé.
Etre une femme en situation de handicap(s) : l’interdiction d’enfanter
Lors de notre rencontre Ada m’a fait part de son inquiétude : sa nièce, étant autiste et porteuse d’handicaps physiques pluriels, sa mère souhaiterait qu’elle subisse une opération de retrait de l’utérus pour qu’elle ne puisse pas procréer. En effet, en Colombie cette opération n’est pas un phénomène isolé pour les femmes porteuses de handicap(s). Le corps médical pense ainsi réduire tout risque concernant des handicaps héréditaires, que ce soit parce que la personne en situation de handicap(s) souhaite devenir mère, ou à la suite d’un viol qu’elle aurait pu subir. Cette opération montre bien à quel point les corps des personnes en situation de handicap(s) dérangent et sont encore rejetés et refusés par la société. Par ailleurs, cette opération est d’une violence sans nom, et peut créer d’autant plus de traumatismes et de violences pour la femme en situation de handicap(s). C’est lors de la Marche mondiale des femmes en 2015, que des militantes féministes porteuses de handicap(s), avaient décidé d’inscrire à l’agenda la santé reproductive et sexuelle, le droit à l’intimité, mais également le droit à la maternité, en intégrant dans leur réflexion la pluralité des femmes en situation de handicap(s) – hétérosexuelles, bisexuelles, homosexuelles, pansexuelles… ».
Ada, la responsable du groupe, lutte ainsi contre ces violences en organisant des discussions, des débats à la fois avec les parents des personnes suivies par le groupe pour les sensibiliser à la thématique, mais également directement avec les personnes concernées, pour qu’elles puissent découvrir leur propre désir et sexualités.
Je vous partage juste en dessous de la littérature et également une vidéo portant sur le sujet, ainsi que la page Facebook (4) du groupe Emaus pour sensibiliser la société aux situations des personnes porteuses de handicap(s).
(1) Etude exploratoire Handicap, violences et sexualité au prisme du genre, Conseil des Femmes Francophones de Belgique. https://www.cffb.be/wp-content/uploads/2018/10/Handicap-violences-et-sexualit%C3%A9-au-prisme-du-genre-2018-avec-license.pdf
(2) Handicaps et sexualités – Le livre blanc, sous la direction de Marcel Nuss. https://www.lien-social.com/Handicaps-et-sexualites-Le-livre-blanc
(3) Article sur les violences conjugales et violences sexuelles faites aux personnes en situation de handicap(s) https://handiconnect.fr/fiches-conseils/les-violences-faites-aux-personnes-en-situation-de-handicap-adultes-focus-sur-les-violences-conjugales-et-violences-sexuelles
(4) https://www.facebook.com/emausbuenaventura
Volontaire de la Session 25 de Echanges et Partenariats, je suis envoyée par Emmaüs International dans les groupes d’Amérique latine du mouvement : Uruguay, Argentine, Chili, Pérou, Brésil, Colombie.
Cette mission, s’articule autour du plaidoyer politique des groupes et de la rédaction d’un rapport mondial exposant les revendications du mouvement composé de 425 associations locales, dans 41 pays différents.