La première expérience

Les activités de production de fraises et de fruits rouges à Huelva (province andalouse, en Espagne) sont à l’origine de plusieurs problèmes. Elles conduisent non seulement au recrutement de travailleuses saisonnières embauchées depuis le Maroc, mais créent également une situation d’impasse pour les travailleur·euse·s migrant·e·s déjà présent·e·s à Huelva, en situation irrégulière, qui travaillent dans les productions sans contrat et qui se retrouvent pris·e·s au piège de ce cercle vicieux : puisque sans contrat de travail, ces personnes ne peuvent pas régulariser leur situation, et si elles ne régularisent pas leur situation, elles ne peuvent pas signer un contrat de travail légal.

Les travailleurs et travailleuses qui ne sont pas autorisé·e·s à régulariser leur situation s’installent dans des chabola (cabanes) à Huelva, dans les municipalités où il y a des plantations (appelées « municipalités fraisières »). Ces cabanes insalubres, faites de plastique et de bois, sont dépourvues d’accès aux services publics (eau et électricité), et ne peuvent, pour ces raisons, être considérées comme de réels lieux d’habitation adéquates pour y vivre.

On dénombre par ailleurs plusieurs asentamiento chabolista (bidonvilles) dans la province de Huelva, à Lepe, Palos de la Frontera, Moguer et Lucena del Puerto. Environ 700 personnes vivraient dans ces « logements » de façon permanente selon les estimations et jusqu’à 3 000 pendant la saison des récoltes.

Si je vous explique cela, c’est pour partager ici avec vous ce que j’ai écrit pendant l’atelier d’écriture créative que nous avons fait pendant le mois de formation d’octobre, inspiré par la dernière photo de mon article et ma première expérience dans un bidonville.

<<Le seul bidonville que j’ai visité était à Lepe (une ville de Huelva). Il est construit juste derrière le cimetière, d’où l’on prend l’eau dans des bouteilles et des bonbonnes qui avaient auparavant été remplies de déchets toxiques.

25/04/2022. Bidonville à Lepe (Huelva).

Quelques jours auparavant, un jeune homme marocain avait été brûlé à mort dans sa cabane. Là-bas la l’étrangère, l’étrange, c’était moi. Et je pouvais empathiser avec l’indifférence, le racisme, et la non-existence, d’être dans un endroit auquel vous n’appartenez pas et qui ne veut pas de vous.

Les files d’attente pour l’eau atteignaient presque l’entrée de la route d’accès, juste devant un centre commercial et un immense Decathlon.

Lorsque Maria nous a salué·e·s, nous nous sommes arrêté·e·s quelques secondes devant l’espace noir, clôturé par des bandes de police et quelques fleurs sur le sol.

Il ne restait qu’une seule chaussure. De toute la vie que ce garçon avait construite dans l’invisible, il ne restait qu’une seule chaussure. On ne se souviendra de lui que par ses compagnons, les invisibles.

25/04/2022. Bidonville à Lepe (Huelva). Le seul souvenir.
25/04/2022. Bidonville à Lepe (Huelva). Ce qui est resté après l’incendie.

Le régime méditerranéen est basé sur cinq repas par jour, principalement des fruits, des légumes et des légumineuses. Il est probable qu’au moins deux de ces repas quotidiens aient été ramassés par les mains des personnes, car ce sont des personnes, qui vivent dans ce bidonville.

Maria nous a accueilli·e·s dans sa cabane avec de l’encens, du jus et des muffins. L’odeur des ordures et de l’eau stagnante persistait de l’autre côté de sa porte en plastique. Les toilettes étaient à quelques minutes, le troisième buisson à gauche. Des toilettes communes, bien sûr.

25/04/2022. Bidonville à Lepe (Huelva). Une des cabanes vue de l’extérieur.

À la fin de la visite, nous avons discuté avec quelques voisins de l’incendie et du garçon mort. « Un bon garçon », disaient-ils. Je ne le connaissais pas.

Ils habitent entre le propre et le sale, ils dorment entre la vie et la mort, ils vivent avec la peur et l’espoir. Il n’y a pas de richesse, pas de fierté, pas de justice dans ces circonstances.

Je ne vois pas de différence entre la Marocaine de 45 ans qui va chercher la nourriture dans les champs et ma mère qui la prépare avec tout son amour, même si chacune a sa propre façon d’étendre le linge.>>

Photo fournie par E&P pendant l’atelier d’écriture, qui a inspiré cet écrit.

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