Un endroit où dormir pour continuer la lutte

17h. La lumière du jour est déjà tombée lorsque je descends de mon vélo. C’est l’hiver, le froid est mordant et la permanence de Schlafplatzorga (« un endroit où dormir« ) prend toute son importance. Rencontre avec un réseau de solidarité que j’ai rejoint il y a un mois.

Le groupe a été constitué en 2014. Son histoire est directement liée à la mobilisation d’Oplatz, au cours de laquelle des personnes venues de camps de réfugié.e.s de toute l’Allemagne ont marché jusqu’à Berlin puis occupé Oranienplatz pendant plus d’un an et demi. Leurs demandes : l’abolition de l’assignation à résidence, la fin des camps, l’arrêt des expulsions et la possibilité d’étudier et de travailler pour tous.tes [1]. Après l’expulsion d’une école transformée en lieu de vie par les membres du mouvement et le démantèlement du campement d’Oplatz, des centaines de personnes se sont retrouvées de nouveau à la rue. Pour seule réponse, le gouvernement leur a demandé de retourner dans les camps contre lesquels iels se sont tant battu.e.s. Schlafplatzorga s’est alors formé comme réseau de solidarité pour tenter de trouver des moyens de logements, temporaires ou sur le long terme, aux personnes sans-abris et/ou sans papiers, et ainsi continuer la lutte.

Le campement de protestation sur Oplatz
By Colin Smith, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=68052814

Il faut ici prendre la mesure de l’organisation de l’hébergement des personnes exilées en Allemagne pour comprendre les revendications des participant.e.s au mouvement Oplatz, ainsi que le contexte de création de Schlafplatzorga. Le pays met en place pour les nouveaux.lles arrivant.e.s des hébergements collectifs obligatoires, qui sont à la charge des gouvernements régionaux. Les personnes en demande d’asile doivent rester dans un centre de premier accueil le temps qu’un premier titre de séjour temporaire leur soit donné, et pour une durée maximum de 18 mois. Après leur répartition, elles ne peuvent quitter la circonscription du Bureau des étrangers dont elles dépendent, pour une durée de 3 à 18 mois (Residenzpflicht). Elles sont ensuite obligées selon la loi d’être logées dans des hébergements collectifs, qui dépendent également du Land d’assignation.

Les séjours dans ces centres peuvent donc durer plusieurs années, selon les délais de traitement des demandes d’asile, l’accessibilité du marché immobilier et les mesures régionales qui concernent ces questions. De nombreuses organisations militantes dénoncent régulièrement les conditions de vie dans ces centres, les qualifiant de « camps » (Lager) dans lesquels autonomie et intimité n’ont pas de place. Le manque d’espace, la surveillance, l’inactivité forcée, la pression ou la discrimination parfois exercée par le personnel, tous ces éléments peuvent entrainer une fragilisation de la santé mentale des personnes qui y vivent, voire conduire à des incidents violents [2].

Campagne #NoLagerNowhere, disponible sur https://lager-watch.org/

Voilà le fer de lance du mouvement Oplatz : la révolte des résident.e.s de ces centres contre leurs conditions de vie inacceptables [3]. C’est cette révolte aussi qui en pousse certains à solliciter Schlafplatzorga. Le public des permanences se constitue principalement de personnes sans papiers (donc n’ayant pas de droit au logement), dépendant d’un autre Land ou ayant été amenées à quitter leur centre d’hébergement. L’organisation propose de mettre en lien les personnes pouvant offrir un logement, une chambre, une place de canapé, pour du court ou long terme, directement avec les personnes en difficulté.

Logo de Schlafplatzorga

17h donc, j’ouvre les portes du KuB, le lieu qui accueille nos trois permanences par semaine. Je ne suis pas seule heureusement : une autre bénévole qui est là depuis longtemps m’aide à passer les coups de téléphone et fait jouer ses contacts pour trouver des places pour ce soir. Je vais voir un jeune homme qui s’installe sur le canapé. C’est la première fois qu’il vient à Schlafplatzorga. Il était dans un Heim (un centre d’hébergement collectif), mais il ne peut plus y rester. Je ne pose pas de questions sur ce qui l’en a fait partir. Il ne connaît personne à Berlin, a besoin d’une solution pour ce soir et ne peut pas payer de loyer. Je commence à téléphoner à celles et ceux qui ont signalé avoir de la place cette semaine. Une place vient d’être trouvée pour autre visiteur de la permanence dans un House Project (ancien immeuble squatté appartenant désormais aux habitant.e.s, envisageant une autre façon de vivre ensemble). Mais maintenant, personne ne répond. Le jeune homme entrera donc dans notre liste de demandeur.se.s et pourra être appelé si une place se libère. Pour ce week-end en revanche, je dois lui trouver une place en centre d’hébergement d’urgence.   

Il y a beaucoup de passage en l’espace de deux heures : certaines personnes viennent pour trouver un bout de canapé et discuter, d’autres pour demander des tickets de métro ou un support financier, et certaines pour chercher un endroit où dormir. Schlafplatzorga est un espace de sociabilité, qui permet parfois aux personnes venues initialement pour trouver un toit de s’engager ensuite dans les actions militantes du groupe. Depuis 2014, celui-ci est devenu moteur dans les réseaux de mobilisations contre les expulsions, les lois fédérales restrictives, pour un changement systémique des politiques en matière de migration, et, en leur assurant une structure de soutien, il encourage la mobilisation militante des personnes concernées.

Schlafplatzorga est donc une alternative qui se développe en opposition au système administratif capitaliste, le dénonçant et s’attachant à créer des liens de solidarité interpersonnels.


[1] https://oplatz.net/about/

[2] Hinger Sophie, 2017, « Allemagne : les villes-laboratoires », In Revue Projet, C.E.R.A.S, Issue 3, N° 358

[3] Nanga Napuli, 2015, « About the refugee movement in Kreuzberg/Berlin », In Movements, Vol 1 Issue 2, [en ligne] https://movements-journal.org/issues/02.kaempfe/08.langa–refugee-movement-kreuzberg-berlin.html

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