– Santé Milan ! L’exception qui confirme la règle. L’appel de la ville et la réponse des brigades de solidarité populaire –
L’apparition d’une “pneumonie virale de cause inconnue” en Chine semblait être un phénomène lointain. Non sans intérêt mais plutôt une réalité qui ne nous concernait pas directement. L’urgence de santé publique de portée internationale est communiquée le 30 Janvier 2020. Lorsque l’Organisation Mondiale de la Santé déclare l’état de pandémie le 11 Mars dernier, l’Europe est le second épicentre de propagation du virus COVID-19. L’Italie et particulièrement la Lombardie, enregistrent des taux de contagions et de décès alarmants, accentués par le fait que c’est une des régions les plus polluées au monde. Comment réagir ? Personne ne s’attendait à devoir affronter un tel chaos provoqué par la nécessité imminente de remettre sur pied les services de santé qui avaient fait l’objet de coupes budgétaires depuis de nombreuses années. D’autant plus qu’en Italie, où leur gestion est régionale, cela a participé à creuser les inégalités territoriales. La dernière mise à jour du plan de prévention de risque pandémique datait de 2016 mais n’était en réalité qu’un document rédigé en 2006, suite à l’épidémie de SRAS qui avait débuté dans les années 2002/ 2003.
À la vue du contexte qui précède la pandémie et devant faire face à cette situation urgente qui résulte du manque d’anticipation, d’organisation et de confusion, le confinement total est mis en place le 9 Mars sur tout le territoire italien pour endiguer la propagation du virus. Pourtant, une semaine auparavant, le maire de Milan avait déclaré “Milano non si ferma” (“Milan ne s’arrête pas”) en recommandant aux citoyens de continuer à vivre “normalement” pour éviter la crise économique. Devant se résigner, la ville met en place le projet “Milan aiuta” en demandant de l’aide à tous les volontaires pour établir un réseau solidaire permettant de soutenir les citoyens. L’association Emergency décide de répondre à l’appel de Milan, offrant ses services afin d’organiser les actions des volontaires sur le territoire pour pallier à la restriction des déplacements engendrées par les mesures sanitaires. C’est une association humanitaire italienne indépendante et neutre, fondée en 1994, qui distribue des traitements médicaux et chirurgicaux gratuits aux victimes des guerres et de la pauvreté.
Dans ce projet “Milano Aiuta”, le soutien est dirigé vers les personnes de plus de 65 ans, les personnes à risques et celles en quarantaine, car contaminées. Ainsi, à travers la plateforme internet, du même nom, sur le site de la ville, un centre d’appels (02.02.02) est mis à disposition pour pouvoir faire part de ses besoins. Emergency active un service de livraisons alimentaires, médicales et d’articles de première nécessité qui sont récoltés à la sortie des supermarchés ou bien grâce à des dons. À chaque demande est attribuée un code et une priorité, le nom et l’adresse sont ensuite communiqués aux volontaires d’Emergency et des brigades de solidarité populaire nouvellement constituées. Pour les individu.e.s ne faisant pas partie d’une association ou d’une organisation qui assure ce type de service en “temps normal”, il fallait obtenir une attestation afin de circuler hors motifs de santé ou de travail strictement nécessaire. La collaboration avec la commune n’est pas évidente pour l’ensemble des volontaires, essentiellement pour des raisons politiques, mais presque indispensable également pour l’organisation. Effectivement, il s’est avéré qu’une fois la première phase de confinement achevée, certains centres sociaux ont demandé à la mairie la régularisation de leur situation en “échange” de leur participation au projet “Milano aiuta”.
Il y a un hic dans cet élan de solidarité venu d’en haut : des critères sont mis en place pour déterminer qui a le droit ou non à un soutien de la ville. À situation exceptionnelle, réponse habituelle : cocher des cases correspondant à des situations, déterminées par l’administration, pour pouvoir prétendre à des aides. Cela aurait pu être révolutionnaire, un soutien sans exception, sans gradation afin que tout le monde puisse faire face dignement à la crise sanitaire. Le premier confinement passé, après de nombreuses campagnes publicitaires, la plateforme internet et la centrale d’appel, la commune s’est peu à peu démise de ce projet, comme si le fait de sortir du confinement induirait que tout reprendrait son cours et que son rôle se limitait à lancer cette idée “ensemble face à la crise, nous sommes tous dans le même bateau”. Les quelques projets encore en cours comme les “buoni spesa” (bons pour les courses), dépendent de critères précis concernant l’âge, le niveau de pauvreté, la santé physique etc …
À Milan, les brigades de solidarité populaire se sont formées principalement en répondant à l’appel de la commune lors du premier confinement et se sont donc divisées et réparties selon les zones administratives afin de s’organiser au mieux sur le territoire. Ce fonctionnement a demeuré lorsque la phase de déconfinement a été entamée, au début du mois de Mai. La réorganisation s’est faite lorsque Emergency a lancé le projet “Nessuno escluso. Neanche chi è ora in difficoltà” (“Personne exclue. Ni même qui est aujourd’hui en difficulté”) pour continuer la distribution de paquets alimentaires et de biens de première nécessité gratuitement, financés par l’association en tentant d’inclure les étudiants, les personnes ayant perdu leur emploi, les personnes en difficultés financière, les personnes exclues des critères de la ville. C’est au travers de ce projet que les brigades de solidarité populaire de Milan ont pu rester actives et continuer à faire les livraisons, les courses solidaires. En effet, en allant sur leur site internet, pour obtenir plus d’informations sur une brigade milanaise, cela renvoie sans exception à la page facebook des “Brigate Volontarie per l’Emergenza” directement liées à Emergency et indirectement à la ville. Pour les contacter, certaines ont encore le numéro de la centrale d’appels de la commune, d’autres ont des numéros de portable ou bien des numéros de téléphones fixes.
Afin de mieux comprendre le fonctionnement des Brigades de Solidarité Populaire, durant cette période de crise sanitaire, sociale et économique, les interviews de quelques volontaires ont été nécessaires. Dans le cas de La Brigata di Solidarietà Popolare Lia (zone 9 de Milan), les membres se sont connus lors du premier confinement essentiellement avec la volonté de sortir en se rendant utiles. Les membres s’organisent pour récupérer les paquets apportés par Emergency et faire les livraisons grâce aux contacts communiqués par l’association (contacts restés du premier confinement ou nouvelles personnes rentrées dans la boucle par le bouche à oreille). Dans un certain sens elle est autogérée, de l’autre elle n’est pas autonome. Depuis Septembre, une salle de spectacle de la zone, leur a proposé d’utiliser leurs locaux (ne pouvant toujours pas rouvrir à cause des mesures sanitaires) en vue d’avoir un lieu commun d’organisation et effectuer la distribution en main propre aux personnes qui peuvent et veulent se déplacer. Tous les lundis, les volontaires se réunissent lors d’une assemblée afin de coordonner et planifier la semaine en fonction des disponibilités de chacun. Ayant conscience que le nombre de paquets qu’Emergency leur a attribué n’est pas suffisant, la brigade s’organise avec les commerces de leur zone pour récupérer les surplus alimentaires. Si un foyer voit sa situation économique s’améliorer, il arrive qu’il le fasse savoir à la brigade afin de laisser sa place à un autre foyer plus en difficulté.
Dans le cas de la Brigata di Solidarietà Popolare Milano Sud, qui n’est pas inscrite sur le site internet (ce qui participe à la confusion quant à la clarté du projet) elle s’est formée autour de plusieurs centres sociaux du Sud de Milan, comme son nom l’indique. L’organisation a pu se faire plus facilement et dépend moins d’Emergency, car ils ont un réseau solidaire territorial depuis plusieurs années et les membres se connaissent déjà. Par le biais du partenariat avec l’association Emergency, ils ont pu s’inscrire dans le projet «Carovana Salvacibo» pour réduire le gaspillage alimentaire (La caravane qui « sauve » la nourriture), mis en place par Eco dalle Città lors du premier confinement. Cela leur permet d’accéder au marché central de Milan pour récupérer les surplus des fruits et légumes et augmenter leurs propres nombres de paquets alimentaires. Chaque brigade « compose » avec les possibilités de sa zone, les opportunités à saisir. Durant les temps de distribution de la Brigata di Solidarietà Popolare Milano Sud dans les centres sociaux, elle en profite pour organiser des rencontres, des dons de livres et tente de créer des moments de sociabilité et de solidarité. Temps qui se font rares et qui sont difficiles à mettre en place en respectant les mesures sanitaires imposées par le contexte actuel. Le système de zones rouge, orange et jaune rend encore plus compliquée la gestion de ce type projet car nécessite une grande capacité d’adaptation.
En somme, dans le contexte de Milan, les brigades de solidarité populaire sont autogérées et auto-organisées mais dépendantes de l’association Emergency. Il est nécessaire de se réinventer continuellement, de trouver des alternatives, de renforcer un réseau mutualiste afin d’éviter le plus possible que des personnes se retrouvent seules à affronter cette situation désespérante qui perdure. Dans le cas de Milan, nous pouvons observer que l’élan de solidarité parti d’en haut a été directement repris d’en bas. L’auto-organisation, l’autogestion et la solidarité sont plus que jamais nécessaires pour combattre le système néolibéraliste qui tente tant bien que mal de survivre, mais qui finira par s’essouffler avant nous si nous restons actifs et critiques.
Par exemple, le projet des Stafette di Mutuo Soccorso, formé également lors du premier confinement, s’est dessiné sans alliance avec la commune et Emergency, pour des raisons politiques et éthiques. Les Staffette ne voulant pas se restreindre aux critères administratifs pour avoir le droit de prétendre ou non à un soutien pour faire face à la situation actuelle. Ils ont préféré reformuler les règles d’accès aux aides sociales en se basant sur la confiance avec comme paroles d’ordre “De chacun selon ses possibilités à chacun selon ses besoins”. Né autour du Spazio di Mutuo Soccorso, lieu où les pratiques mettent en évidence qu’un autre monde est possible, et du centre social d’alternatives culturelles Il Cantiere, le projet souhaite donner de la continuité au soutien mutuel apporté aux personnes avant, pendant et après les confinements. Les difficultés, les inégalités, les dysfonctionnements ne sont pas nées avec la pandémie mais ils ont été mis en évidence. La crise sanitaire à révéler la fragilité du système actuel. Le lien ci-dessous est un communiqué écrit en Avril 2020, par “quelques compagnes et quelques compagnons de Milan et ses alentours” qui fait l’état des lieux et critique la situation du premier confinement et l’appel de Milan. Les Stafette n’ont pas participé à sa rédaction mais partagent les idées quant au côté embarrassant de la collaboration spontanée avec la commune et ce qui en a découlé.
https://mars-infos.org/nous-avons-decide-de-traduire-ce-5081
Volontaire d’Echanges & Partenariats (E&P) pour la mise en réseau des lieux dédiés à la solidarité et à l’organisation des mouvements sociaux pour favoriser leurs interactions.
Architecte de formation, diplômée à Toulouse avec un projet sur la recherche de systèmes d’interventions dans les grands ensembles mis en place avec les habitants et pour les habitants dans le but d’améliorer leurs cadres de vie.
En mission à Milan, Italie, avec le Centre International de Culture Populaire (CICP) au sein du centre social autogéré Il Cantiere.