El Raval à la croisée des luttes

Banderole à l’entrée d’une okupa du Raval. Source : Paula Mendez

Nous voici dans un quartier au centre de Barcelone, aux rues étroites séparées de bout en bout par des fils de linge, égayé par des fresques et grafitis revendicatifs, des plaques et des affiches où l’on peut lire des slogans contre les expulsions, le patriarcat et les discriminations. Elles sont là, visibles et montrent l’appropriation de l’espace urbain par les habitant.e.s del barrio.1 Son mouvement perpétuel est ce qui le caractérise : les magasins d’occasions, les épiceries marocaines, pakistanaises, le boucher du coin et les restaurants aux mille saveurs sont les éléments qui dessinent son paysage. La vie de quartier est aussi bien présente dans les rassemblements de femmes en bas de chez elles qui distribuent des produits de premières nécessité aux femmes isolées que dans les regroupements de communautés migrantes et de jeunes qui se retrouvent sur les places pour jouer de la musique, faire du skate et jouer au football au soleil.

Tel est le barrio del Raval, un quartier historiquement migrant, au cœur de Barcelone, qui a tout d’abord été un point d’arrivée de migrant.e.s internes, principalement du sud de l’Espagne, dans les années 60-70 et qui depuis les années 80, reçoit des populations extracommunautaires, d’Afrique de l’Ouest, d’Asie et d’Amérique Latine. Ce quartier est marginalisé, précarisé et touché par la criminalité (le narcotrafic, entre autres) mais il est surtout très organisé politiquement avec son syndicat de quartier, ses nombreux collectifs d’habitant.e.s, de travailleur.ses du sexe, de femmes et de personnes migrantes, ses nombreux espaces occupés (okupas) où se déroulent de multiples activités et où se tissent de nombreux liens.

C’est dans ce contexte que depuis des mois, un local occupé par différents collectifs migrants est en processus d’expulsion. En effet, ce local « Centre Social » regroupe plusieurs activités de collectifs migrants : el Espacio del Inmigrante et la Caracola (un squat de femmes migrantes). Ces deux espaces, en plus de représenter des lieux d’habitation pour les personnes migrantes, sont aussi des lieux d’activités où se déroulent des rencontres, des assemblées, des événements, des rassemblements, des distributions de produits de première nécessité, du soutien et de l’accompagnement pour les personnes sans-papiers. Au sein de ce centre social se trouve la boutique TopManta, ouverte en 2017 par le Syndicat Populaire de Vendeurs Ambulants, la plupart sénégalais, qui ont créé leur propre marque de vêtements : « Topmanta ». Cette expulsion implique que des personnes migrantes de la Caracola et de l’Espacio del Inmigrante se retrouveront à la rue et que l’activité de la boutique TopManta en sera impactée. Le local appartient au groupe CaixaBank et il aurait pu être racheté à hauteur de 600 000 euros par la Mairie de Barcelone et être cédée aux collectifs mais elle n’en a pas décider ainsi. Depuis, des négociations ont lieu entre le propriétaire, la Mairie et TopManta pour la relocalisation de leur boutique et le relogement de deux résident.e.s en situation de grande vulnérabilité. Selon les collectifs, il s’agit d’une stratégie de la Mairie de Barcelone qui vise à diviser les collectifs puisque d’une part, les femmes de la Caracola et l’Espacio del Inmigrante sont exclus des négociations et que d’autre part, cette expulsion va faire voler en éclat le réseau de solidarité et de collectifs qui s’était formé jusqu’alors dans ce centre.2

Le problème des expulsions n’est pas nouveau à Barcelone. En effet, le logement social n’existe quasiment pas en Espagne puisque son modèle est basé sur l’accès à la propriété à travers l’octroi de crédits hypothécaires. C’est ainsi que depuis 2008 et la crise financière, de nombreux propriétaires ne pouvant plus honorer leurs crédits, ont été expulsés et les banques ont racheté leurs logements pour les revendre à des sociétés immobilières et des grands propriétaires. Depuis, les loyers ont augmenté drastiquement et Barcelone est devenue de plus en plus inaccesible, entre autres, en raison de l’expansion de la plateforme Airbnb.3 De cette manière, la lutte pour le droit au logement est devenue l’une des principales préoccupations et revendications dans la ville et les okupas4 se sont convertis en un des modes d’actions des collectifs et personnes précarisées, en plus de constituer des espaces de vie et de luttes dans les quartiers, entre voisinage et personnes migrantes. Ces espaces sont constitutifs de la ville de Barcelone car ils permettent une intersection des luttes entre : solutions d’urgence pour les personnes à la rue et espaces de vie politique.

Ainsi, en temps de pandémie et de saison hivernale, les expulsions se poursuivent à Barcelone et plus généralement en Catalogne et en Espagne. L’élection d’Ada Colau à Barcelone avait représenté un espoir pour les populations précaires, puisqu’elle était la fondatrice de la Plateforme des Victimes des Crédits Immobiliers (PAH) mais les enjeux stratégiques et politiques pèsent toujours plus que des vies migrantes. Actuellement, la lutte continue et des rassemblements réguliers ont lieu dans la Caracola alors continuons de chanter avec Rosa Sanchez : « En la Rambla del Raval, todo el mundo vale igual! » 5

La chanson du Raval, interprétée par Rosa Sanchez à la Caracola le 14/01/2021. Source : Paula Mendez

Notes
1le quartier

2 D’Oultremont M. et Rojas A. 2021. « Desalojos en Barcelona: « El Ayuntamiento nos ofrece como alternativa habitacional un piso okupado ». El Salto Diario. Accès : https://www.elsaltodiario.com/vivienda/desalojos-barcelona-caracolas-ajuntament-ofrece-como-alternativa-habitacional-piso-okupado

3Miralles, D. 2018. “La reterritorialisation du secteur du logement et de l’habitat à Barcelone et Madrid. Vers une nouvelle gouvernance urbaine de l’habitat ?”, Sud-Ouest européen, 46 |23-38.

4Squats
5A la Rambla del Raval, tout le monde a la même valeur !

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