Akwaba

NB: cet article a été écrit en deux fois le : 12 mai et le 21 mai

Je suis sur le balcon, il fait lourd, j’espère qu’il va y avoir un orage. Nous sommes le dimanche 12 mai et je suis arrivée en Côte d’Ivoire le 9 mai. Voilà, j’ai écrit deux lignes et je suis repérée par deux petites filles sur le toit en face, et par des femmes dans une cour, « coucou la blanche ! ».

Je ne pense pas que beaucoup de blancs s’aventurent jusque là où j’habite. Je pensais me sentir blanche en vivant au milieu de personnes noires et avec tous les enfants que viennent me voir en rigolant et en me touchant la main ou les cheveux. Mais finalement, c’est en voyant d’autre blancs que je me suis sentie vraiment blanche. La première fois que j’ai vu d’autres blancs à Abidjan c’est dans un centre commercial. Mais, la fois qui m’a vraiment marquée, c’est à un concert de commémoration de Bob Marley. Tous les ans, le 11 mai – jour anniversaire de sa mort -, le monde entier célèbre sa musique mais aussi sa culture – le rastafarisme – et ses luttes. C’est une journée importante pour la Côte d’Ivoire, la « ganja » est même tolérée ce jour là alors que c’est illégal et réprimé le reste l’année ! C’est une célébration pour les identités noires et voir ces grappes de blancs, là en goguette, m’a fait bizarre et surtout m’a rappelé que je suis comme eux : blanche, coucou* !

Voilà, maintenant que la partie « je suis la seule blanche dans le village** » est faite je peux passer à autre chose, à Yvonne et à Didier. Ce sont les deux personnes avec lesquels j’ai passé mes premiers jours.

Je commence par Didier, mais pas parce qu’il est plus important. Didier est coordinateur de Tournons la page Côte d’Ivoire, de la PAOJ-CI et dans No Vox Côte d’Ivoire. En ce moment, au nom de Tournons la page, il participe à des rencontres de hauts niveaux avec la société civile et le gouvernement sur la réforme de la Commission électorale indépendante. Comme les élections présidentielles sont l’année prochaine, les règles et les personnalités de cette commission sont très importantes. Pas mal comme responsabilités, n’est-ce pas ? Je ne maîtrise pas assez les subtilités des enjeux et des jeux de pouvoirs pour pouvoir les décrire, mais j’ai retenu deux choses : il y a de la corruption et c’est comme ça que l’on reconnaît les vrais représentants de la société civile. Et ce que demande a minima Tournons la page c’est que les partis politiques et le gouvernement ne soient que des observateurs sans capacité de décision dans cette commission.

Yvonne Toba, ma référente ici, est la coordinatrice de No Vox Côte d’Ivoire. No Vox c’est un réseau de luttes menées par les personnes dont les droits sont bafoués. Autrement dit, ce sont des personnes qui ont compris qu’elles ont des droits et qui comptent bien que toutes les communautés auxquelles des injustices sont faites sachent qu’elles aussi ont des droits. No Vox Côte d’Ivoire est né en 2013, par Yvonne. Alors qu’elle menait une lutte avec une communauté elle a rencontré des personnes d’un No Vox d’un autre pays et on lui a dit que ce qu’elle faisait c’est exactement ce que font les No Vox. Depuis, elle a mené beaucoup de luttes.

Dès le soir de mon arrivée, on s’est assis sur le balcon et ils m’ont informé très franchement de l’état de leurs actions. No Vox ne reçoit pas d’argent de bailleurs, le mouvement ne fonctionne qu’avec des solidarités. Sauf que les luttes qu’ils mènent et surtout jusqu’où ils voudraient les porter demandent plus que quelques centaines d’euros par-ci par-là. Comme dit Yvonne : « il faut nourrir la lutte, mais lutte ne nous nourrit pas » et j’ai envie d’ajouter, la lutte au bout d’un moment c’est sur toi qu’elle se nourrit. Yvonne n’est pas salarié de No Vox, elle n’a jamais été rémunérée pour tout ce qu’elle a fait. Il est urgent que l’on trouve de l’argent. J’emploie le « on » a dessein, si on ne trouve pas d’argent, moi je vais faire la touriste pour les prochains mois ! Et ça non ! Non, tout ce qu’ils m’ont raconté est bien trop impressionnants, leurs luttes sont bien trop importantes pour que cela s’arrête pour une question d’argent.

Depuis, Yvonne et Didier m’ont emmenée un peu partout avec eux, j’ai rencontré beaucoup de leaders d’organisation, tout le monde me souhaite Akwaba, bienvenu. J’ai deux nouveaux prénoms : Yablê qui veut dire réjouissance en Ébrié. Le village où j’habite à Yopougon est un village
Ébrié et Yvonne est Ébrié. Mon second nouveau prénom est Awa qui veut dire Eve en Dioula, le dioula est la langue du commerce en Côte d’Ivoire, c’est aussi l’ethnie d’un leader d’organisation que ça fait bien rire de m’appeler comme ça ! J’ai aussi participé à l’atelier d’élaboration du plan stratégique sur trois ans de Tournons la page Côte d’Ivoire, ce qui m’a donné envie de revenir voir comment se passeront les élections ici l’année prochaine. Et aujourd’hui, 21 mai, réunion No Vox sur nos futures demandes de financement, l’argent reste le nerf de la guerre !

Je n’arrive plus à écrire, il y a au moins trois sources de musiques assourdissantes sous le balcon. Depuis que je suis arrivée je pense pas avoir eu plus de quelques minutes de silence en dehors de quand je me réveille au beau milieu de la nuit***.

Je ne saurai pas vraiment décrire mon état d’esprit depuis que je suis arrivée, je pense qu’il est aussi décousu que cet article****.

*Depuis, j’ai eu d’autres moment où ma peau blanche m’a posée problème et surtout des moments où ma nationalité française est venue s’imposer !

**Je suis dans le village de Abobo-Doumé, qui lui même est dans la commune de Yopougon, qui est dans la ville de Abidjan. Promis, dès que j’appréhende un peu plus ma géographie environnante, je vous en parle.

***J’apprends à faire le silence dans le bruit et en réalité la semaine en pleine journée c’est assez calme.

****J’ai écrit cette conclusion le 12 mai et je pense qu’elle tient encore plus aujourd’hui le 21 mai, non seulement pour l’article mais aussi pour mon état d’esprit. Si vous m’avez lu jusqu’ici merci et mes excuses pour le manque de fil conducteur !