Women in Exile: les femmes brisent les frontières
A l’occasion de la fin du Women in Exile Breaking the Borders Tour 2018, l’initiative Women in Exile a convié lundi 13 aout les organisations de sauvetage en mer Sea Watch et Jugend Rettet à participer à une conférence de presse commune sous forme de tribunal. Ces organisations sont les témoins des dangers qu’affrontent les femmes lors de leur voyage vers l’Europe, que ce soit en Afrique du Nord, en mer Méditerranée, mais aussi une fois arrivées en Allemagne. Sur le banc des accusés, le gouvernement allemand, et l’Union Européenne, pour mettre en place et promouvoir des lois et politiques racistes causant la mort de milliers de personnes.
Du 23 juillet au 5 aout, l’initiative Women in Exile s’est rendue dans le sud de l’Allemagne et en Suisse pour visiter les centres d’hébergement et rencontrer leurs habitantes. L’objectif du Women in Exile Breaking the Borders Tour était de renforcer les liens avec les groupes locaux luttant contre le racisme, et de problématiser les conditions de vie des réfugié.e.s dans les centres fermés, devenus officiellement des centres « Anker » en Bavière le 1er aout dernier.
A la rencontre des habitantes des Anker-Zentren
C’est la troisième fois que Women in Exile entreprend ce voyage sur les routes allemandes. Créée en 2002 par des femmes réfugiées, l’initiative cherche à dénoncer la double discrimination à laquelle elles font face au quotidien, en tant qu’exilées et en tant que femmes. Le tour 2018 a débuté à Potsdam et est passé par Magdebourg, Leipzig, Halle, Nuremberg, Regensbourg, Münich, Freibourg et Bâle. Au fil de leurs visites et de leurs rencontres, le groupe a souhaité mettre l’accent sur les causes de la fuite, notamment le changement climatique, qui poussent les femmes à entreprendre le dangereux voyage vers l’Europe, mais aussi sur les conditions de vie qui les attend une fois arrivées en Allemagne.
Ainsi, la Bavière a été une étape importante de la troisième édition du Women in Exile Tour. A Bamberg, elles ont pu pénétrer dans le centre pour réfugiés, depuis devenu officiellement un Ankerzentrum. Le portrait qu’elles en dressent est effrayant. Jane Wangale témoigne : “Les conditions de vie sont vraiment difficiles dans les centres, en particulier pour les femmes avec enfant. Nous avons rencontré plusieurs femmes dans un état psychologique très dégradé, souffrant de stress à haut niveau à cause des menaces d’expulsions. Elles ne se sentent pas en sécurité dans le centre, où les portes de chambre ne ferment pas à clé et où les agents de sécurité, surtout des hommes, peuvent aller et venir comme ils le souhaitent. On parle de femmes qui ont vécu le pire en Libye, qui ont parfois été violées, qui sont traumatisées, et qui continuent à vivre un enfer. Il n’y a qu’un pédiatre pour tout le centre, qui n’est disponible qu’un jour par semaine alors qu’il y a beaucoup de demandes. Une femme était au comble de la détresse, son enfant d’un an et demie n’arrivant ni à dormir ni à s’alimenter, probablement à cause du stress. A l’hôpital, on lui a assuré que l’enfant n’avait rien. » D’autres femmes ont aussi témoigné d’un traitement discriminatoire venant du personnel médical, sous prétexte qu’elles ne comprenaient pas les pratiques occidentales.
Breaking the borders. Tel était le theme du Tour, avec le souhait de symboliquement lever les frontières et promouvoir la liberté de circulation pour tou.te.s. A Weil am Rhein, Women in Exile a organisé un rassemblement avec des réfugié.e.s et des activistes suisses de part et d’autre de la frontière. Une d’entre elles s’est risquée à traverser.
D’une frontière à une autre : les routes meurtrières de l’exil
D’autres frontières sont plus meurtrières. Sea Watch et Jugend Rettet en sont les témoins quotidiens. La mer Méditerranée est la frontière qui tue le plus, avec 14 500 morts recensées par l’OIM depuis 2014. Difficile d’obtenir des chiffres plus précis, cependant, les infos disponibles montreraient que plus de la moitié des morts en mer sont des femmes, et que le risque de se noyer est plus élevé pour les femmes. L’équipe médicale de Sea Watch atteste avoir dû traiter des cas extrêmes, de femmes enceintes sauvées in extremis de la noyade, à demi brûlées par l’essence des bateaux de fortune sur lesquelles elles se trouvaient.
La question de la maternité est souvent un argument utilisé par les détracteurs de l’immigration, qui dénoncent les stratégies des femmes cherchant à tomber enceinte pour pouvoir obtenir l’asile plus facilement en Europe. Cet argument éclipse ainsi les conditions de fuite endurées par celles qui doivent chercher la protection des hommes, sont victimes de viols, sont forcées à se prostituer, et n’ont pas accès à des moyens de contraception ou à des possibilités d’avorter.
Jugend Rettet a voulu insister sur les conditions de vie en Libye pour les exilé.e.s, où on assiste à une systématisation des violations des droits de l’homme. Selon l’UNHCR, il y avait au 1er décembre 2017 44.306 personnes enregistrées comme réfugié.e.s ou demandant l’asile en Libye. Les conditions de vie dans les centres de détention – officiels et officieux – sont effroyables, et le nombre de personnes emprisonnées ne fait qu’augmenter, en raison des push-backs de la garde-côte libyenne qui ramène et emprisonne en Libye ceux et celles qui ont tenté la traversée et se sont retrouvé.e.s sur son chemin. D’après les propres informations du ministère de l’intérieur libyen, ce nombre est passé d’environ 4 400 en mars à plus de 10 000 à la fin juillet. Y compris environ 2 000 femmes et enfants. Ils y sont détenus dans des conditions misérables, dans des cellules surpeuplées, n’ont pas accès aux soins médicaux et à une nourriture adéquate. Ils sont victimes de tortures systématiques et d’autres mauvais traitements, tels que la violence sexuelle, les passages à tabac et le chantage, comme le statuait Amnesty International dans son dernier rapport.[1]
Etre femme et exilée, la double peine
Trois zones géographiques, trois témoignages, qui bout à bout rendent compte du périple de celles et ceux parti.e.s en exil à la recherche d’un endroit où ils et elles pourraient enfin vivre dignement et en sécurité. Or il est important de souligner que les femmes* souffrent durant le voyage mais aussi lors de la démarche de demande d’asile en Allemagne de violences et de discriminations spécifiques à leur genre.
C’est pourquoi Women in Exile a voulu mettre en scène un tribunal pour dénoncer cette invisibilisation, et interpeller les coupables. Voici leur mise en accusation :
« Les aspects négatifs de l’Europe sont liés au capitalisme, il s’agit de domination, d’expropriation et de profit. C’est une question d’économie et de privilèges sociétaux. L’Europe, avec son propre système en crise, n’est pas capable de maintenir l’Etat-providence, ce qui fait que les discours d’extrême droite trouvent le soutien d’une grande partie de la société, qui vote pour des partis politiques comme l’AFD ou la CSU, partis qui avec le soutien de partis moins conservateurs, sont directement responsables de l’élaboration de lois fondées sur le racisme et la discrimination à l’égard des réfugiés, crée des centres ANKER qui sont des ghettos où les réfugiés sont isolés et exposés à la violence de la sécurité et de la police, qui expulsent violemment. Pendant ce temps, les droits fondamentaux des réfugiés tels que l’éducation, la couverture médicale, le logement décent ne sont pas fournis.
Nous avons été les témoins du profilage racial par la police, ce qui montre une fois de plus le racisme de l’Europe. Le racisme est lié à la violence et au colonialisme qui révèle le patriarcat et met les femmes dans une situation particulièrement sensible lorsqu’elles migrent, elles deviennent victimes de la traite, de la prostitution, de la violence sexuelle, de la sous-rémunération, les politiques mettent toutes sortes d’obstacles au regroupement familial, entraînant la séparation avec leurs enfants.
Nous accusons les pays européens d’utiliser la soit disante crise des réfugiés pour perpétrer un génocide contre les réfugiés. Nous l’appelons génocide, parce qu’il permet de tuer systématiquement des milliers de personnes, non seulement en Méditerranée, mais aussi sur la « route du retour », dans le désert.
Nous accusons l’Allemagne et l’Union européenne de complicité de génocide, en soutenant avec des millions d’euros des gouvernements où les droits de l’homme sont systématiquement violés et où les personnes en fuite subissent toutes sortes de mauvais traitements.
Nous dénonçons la promotion des camps dans les pays africains avec l’intention d’arrêter l’arrivée des réfugiés sur le territoire européen, dans le but d’invisibiliser le besoin de fuir. Nous dénonçons l’investissement accru dans FRONTEX pour la construction de la forteresse Europe et l’externalisation des frontières européennes.
Nous accusons l’Allemagne et l’Union européenne d’être conscients de ces faits et de promouvoir la politique de la mort pour les réfugiés, de ne pas avoir le courage de l’admettre, et de ne pas assurer la liberté de mouvement des personnes et pas seulement des biens. »
[1] https://www.amnesty.org/fr/countries/middle-east-and-north-africa/libya/report-libya/