Brisons le sablier

Évoquer l’Italie nous renvoie d’office à l’image d’un beau pays, vivant et bouillonnant d’énergie, d’une histoire et d’une culture regorgeant de richesses, de ses opéras, théâtres, ou encore de sa gastronomie alléchante. La liste n’est pas exhaustive et loin de moi l’idée de réduire l’Italie à ces quelques représentations. Qui plus est, c’est essentiellement sur son agriculture que mon regard se porte. Plus globalement, aux ficelles du système agro-alimentaire italien, où l’image de la Dolce Vita Italianna prend un coup dur. Et c’est le moins que l’on puisse dire.

Dans les années 90, le pays compte 3 millions de fermes et d’exploitations agricoles. En 2013, il faut diviser par trois ce nombre pour y trouver le compte [Sources : EuroStat Enquête Structure]. Il n’est pas nécessaire d’être un génie en mathématique pour s’apercevoir que quelque chose « cloche ». On ne peut limiter l’explication du phénomène comme résultat de l’agrégation de choix individuels et rationnels, qui porte les habitants du monde rural à se tourner vers les villes, pour de multiples raisons, abandonnant alors les campagnes italiennes. Il prend plus de sens de porter son regard sur les transformations internes aux structures du Marché et des règles qui en définissent son fonctionnement, qui ont profondément modifié les modèles agricoles et le paysage rural.
On corrèle l’augmentation de la taille des exploitations au développement techniques des outils et méthodes de travail de la terre. En effet, les gains de productivité et les rendements ont explosé, notamment avec le développement de l’industrie agro-chimique [que l’on rappelle, est issue du recyclage des industries chimiques de guerre], mais nécessitent de très gros investissements. Tous ne peuvent se le permettre ou se retrouvent à crouler sous les dettes.
De fait, dans un contexte de libéralisme économique où la concurrence est plus que de mise, comment ces petits et moyens producteurs peuvent s’aligner sur les prix des produits de plus en plus bas ? Sur une demande de standardisation de la production ? C’est ainsi que l’on assiste à la disparition de ceux qui ne peuvent rester concurrentiels face à de grands bassins de productions agricoles. Ces hommes et ces femmes se voient vendre leur terre et alimenter les flux de migrations à la recherche d’un emploi et d’un revenu en vendant leur force de travail. Si cette logique s’applique de manière forte entre les pays du Nord et du Sud, elle revêt d’autres formes pour s’appliquer également entre les territoires d’un même pays. Ces grandes exploitations agricoles s’agrandissent de ceux laissés-pour-compte, tant en récupérant leurs terres qu’en les embauchant.
Ce système d’agriculture industrielle, intensive et, ne l’oublions pas, subventionnée, n’est pourtant pas fonctionnel au regard des droits humains fondamentaux, du respect de l’environnement, de la production d’une nourriture de qualité ou encore de la pérennité et durabilité d’un tel système.
Malgré ses « imperfections » ce modèle est valorisé tant par les politiques actuelles que par les grandes chaînes de supermarchés.
Entre le grand nombre de producteurs et le très grand nombre de consommateurs, ils sont peu à faire le lien, avec une situation de monopole et de contrôle, on parle de la métaphore du Sablier.
La GDO [Grande Distribution Organisée] a rationalisé et simplifié les modes de production et de consommation. Elle a édifié un système apte a définir et standardiser les modes de production, de transformation mais aussi de consommation !
Les grandes productions fruitières, avides en mains d’œuvres [du moins dans le sud de l’Italie puisqu’au nord une grande partie de la production est mécanisée], recrutent essentiellement des migrants. Marginalisé, vulnérables, dociles et flexibles, ils sont la main d’œuvre idéal dans un système ultra-libéral avec un marché du travail de plus en plus dérégulé. L’exploitation du migrant travailleur de la terre, dans un cadre législatif qui le permet, est une caractéristique structurelle à l’agriculture industrielle.
Comment sortir de l’impasse vers où nous mène ce système ? Comment édifier un système où l’on pourrai assurer la santé, la sécurité et la dignité du revenu des travailleurs de la terre ?
Le consommateur se doit d’être conscient d’être nourri avec l’exploitation des travailleurs. Mais aussi que d’autres modèles de productions et de consommations sont disponibles, durables et abordables. Dénoncer les accords de libres-échanges [qui supplantent les Droits Humains au regard de l’application de la Loi] doit s’accompagner d’une force de proposition alternative.
En Italie les alternatives sont nombreuses. Nombreuses à essayer de se réapproprier la notion de souveraineté alimentaire. à redonner de la valeur au travail agricole et au fruit de la production. Valoriser la fonction nourricière du paysan, redéfinir le lien entre le producteur et le consommateur, produire et consommer de la qualité, c’est ainsi que prend forme la lutte face à l’hégémonie de la GDO.
À suivre …