L'introuvable accueil des étrangers ? #1

A Rennes, le samedi 25 novembre 2017, se tenait un colloque de l’Observatoire de l’Enfermement des Étrangers, traitant de la question des mesures et dispositifs dérogatoires à l’enfermement. Depuis le contexte jusqu’aux perspectives de mobilisation, cette série d’articles se propose de rendre compte des éléments mis en avant durant ce temps-fort du militantisme sur la question de la défense des droits fondamentaux des étranger.e.s en France.

 

#1 Petit retour historique et contextuel : Comment en est-on arrivé là ?

 

La question des personnes migrantes cristallise les opinions publiques en Europe depuis une dizaine d’années. L’expression stéréotypée « avec humanité et fermeté« , chère aux responsables politiques, résume à elle seule l’ambivalence dans le traitement des étranger.e.s en Europe et en France. Il y a d’un côté la Convention de Genève, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le Code du Droit d’Asile… Autant de textes imposant de respecter les droits fondamentaux des personnes étrangères. De l’autre, il y a la tentation d’instrumentaliser la question, de jouer sur la paranoïa sécuritaire, d’user des stratagèmes populistes d’extrême-droite à des fins électorales. Au milieu, il y a des êtres humains qui traversent des épreuves indescriptibles, et à qui on refuse la liberté de vivre là où ils et elles l’ont décidé.
Pour saisir le propos du colloque qui s’est tenu le 25 novembre 2017 à Rennes, il faut revenir à un certain nombre de moments, d’éléments qui ont contribué rendre de plus en plus inaccessible l’accueil en France, et plus largement, en Europe.
 

En 2008, l’entrée en vigueur de la directive « retour » institutionnalise l’enfermement des étrangers en Europe.

Partons de 2008, et de cette directive européenne qui légitime l’enfermement comme mode de gestion de la question des personnes étrangères, et qui permet « l’industrialisation » de cette pratique. Auparavant, chaque pays européen avait sa réglementation en la matière. La directive marque un tournant : désormais, une personne étrangère pourra être « retenue » pendant maximum 18 mois. Ce qu’il faut y voir, ce n’est pas tant qu’on fixe une durée maximale à l’enfermement, mais bien qu’on tolère au sein de l’Union Européenne cette pratique. Priver une personne étrangère de liberté simplement parce qu’elle est étrangère devient légitime dans les pays de l’Union.
Cette directive forme une première étape dans l’homogénéisation des politiques migratoires à l’échelle européenne, et également, un point de non-retour. Dès lors, un processus s’engage, qui mène à un glissement de la logique dans la gestion de la question des étranger.e.s en Europe : de la logique de l’accueil et de l’asile, on passe à une logique de gestion des flux et de restriction de libertés. Cette déshumanisation a des conséquences multiples et dramatiques.

A l’échelle continentale, la volonté de simplifier les renvois et de transformer l’Europe en citadelle imprenable

La Règlement dit « Dublin » (2003 puis réformé en 2013) met un terme définitif à la libre-circulation des personnes étrangères au sein de l’espace Schengen. Celui-ci prévoit la mise en place de la base Eurodac, un fichage généralisé des demandeurs d’asile en Europe, permettant une systématisation de l’expulsion de personnes étrangères.

De manière plus globale, les frontières européennes se rigidifient de plus en plus, notamment via la méthode de l’externalisation de la gestion des flux migratoires, c’est-à-dire des accords entre pays européens et pays limitrophes (Turquie, Libye…) et la création des « hotspots », véritables centres de tri et de contrôle pour demandeurs d’asile disposés à l’entrée du territoire européen, sur les îles grecques et en Italie. L’agence Frontex, chargée de la surveillance des frontières extérieures de l’Europe, voit dans ce cadre une augmentation de plus de 1000% de son budget entre 2006 et aujourd’hui.
 

A l’échelle nationale, restreindre les libertés pour mieux expulser

En France, cela s’est traduit par le développement de nouvelles structures. De fait, jusqu’au démantèlement de la « Jungle » de Calais en 2015, les lieux d’enfermement et de restriction des étranger.e.s en France étaient clairement identifiés : il s’agissait des Centres de Rétention Administrative (CRA), de Locaux de Rétention Administrative (LRA), ou encore des Zones d’Attente au sein des structures aéroportuaires. Ce sont des lieux qui sont pour la plupart connus, ainsi en témoigne le site de la campagne « Close The Camps » menée par Migreurop.

Toutefois, depuis 2015 et avec la création de nouvelles structures comme les CAO (Centres d’Accueil et d’Orientation), l’enfermement laisse place à des pratiques « alternatives » de contrôle et de restriction des libertés. De fait, se développent les mesures dites « dérogatoires » à l’enfermement : l’assignation à résidence des étranger.e.s au sein de leurs structures d’hébergement dans l’attente du traitement de leur dossier administratif par les préfectures. Cela permet une dématérialisation de l’enfermement tout en démultipliant les possibilités de contrôle.

Hors de tout cadre légal, ces pratiques sont certes des mesures « alternatives » à l’enfermement mais à bien des égards « dérogatoires » à l’accueil.