Birmanie, 2 ans après les élections de 2015: un bilan décevant.


La Birmanie, pays aux paysages époustouflants et aux pagodes scintillantes est pourtant le théâtre de nombreux conflits. Alors qu’avec les élections de 2015, la population birmane espérait se diriger vers un pays stable et démocratique, le bilan d’aujourd’hui n’est pas des plus positif.
13 novembre 2015, la commission électorale annonce que la ligue nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi a remporté 348 sièges au parlement soit une large majorité des sièges disponibles du parlement. Ce sont les premières élections générales « libres » se tenant en Birmanie depuis des décennies puisque le pays a connu une longue période de dictature militaire. La population fatiguée de subir exactions, répressions, censures et violences , attendait beaucoup de ces élections et a placé beaucoup d’espoir en la personne d’Aung San Suu Kyi qui a fait de la réconciliation nationale son cheval de bataille.

Peut-on vraiment parler de démocratie ?

Deux ans après ce large succès le pays ne semble pas s’être stabilisé. L’armée birmane garde un large contrôle sur le pays. En réformant la constitution en 2008 avec un référendum plus que contestable, elle s’est attribuée de facto 25% des sièges au parlement et attribue le pouvoir au chef des armées de désigner le ministre de l’intérieur, le ministre des frontières et le ministre de la défense. La constitution, posant de nombreux problèmes dans différents domaine comme par exemple en ce qui concerne l’accaparement des terres, n’est modifiable qu’avec plus de 75% des voix du parlement ce qui octroie un « droit de veto » aux militaires. Ce contrôle de l’armée birmane restreint considérablement l’action du gouvernement et ne permet pas de réelle transition démocratique.

Un processus de paix excluant.

Il en va de même pour le processus de paix initié par Aung San Suu Kyi ayant pour ambition de mettre fin aux conflits durant depuis des décennies entre les groupes ethniques armés et l’armée birmane, voir même entre différents groupes ethniques armés. Ces groupes ethniques armés luttent pour garder le contrôle sur leur territoire et réclament plus d’autonomie, une meilleure répartition des richesses, la gestion des ressources naturelles ainsi que la reconnaissance constitutionnelle de leurs droits. Les conflits se sont intensifiés depuis août 2016 au Nord du pays dans les Etats de Kachin et Nord Shan, provoquant de nombreux morts et déplacés (100 000 déplacés internes)

Actuellement, 135 groupes ethniques sont officiellement recensés. Parmi les plus important on retrouve les Bamar, les Shan, Karenni, Mon, Kachin, Chin et les Rhakine. En 2015 un accord de cessez-le-feu national mis en place par le gouvernement de Thein Sein – héritier de la junte militaire – a été signé par quelques groupes armées et la LND a relancé un processus de paix avec la conférence de Panglong. Cependant certains groupes ethniques armés restent exclu des négociations ce qui ne permet pas d’avancer efficacement vers le rétablissement de la paix. De plus on remarque que les organisations de la société civile birmane (CSO) sont totalement exclues du processus. Elles se réunissent donc dans un forum parallèle et n’ont pas accès aux conférences.

Le cauchemar des Rohingyas.

Une des minorités ethniques musulmane de l’Etat d’Arakan fait depuis quelque temps l’objet d’un nettoyage ethnique, il s’agit des Rohingya. Les violences contre cette ethnie se sont renforcées en 2016 et 2017 notamment suite à des attaques de postes de sécurité menées le 25 aout dernier par des individus soupçonnés d’être liés à l’ARSA (Arakan Rohingya Salvation Army). Les opérations de sécurités du gouvernent suite à ces attaques provoqueront le départ de plus de 600 000 Rohingya qui vont se réfugier dans les pays voisins ( surtout au Bangladesh). Le discours anti-Rohingya porté par l’armée birmane mais aussi par une majorité des bouddhistes est d’autant plus important au sein des bouddhistes ultra-nationalistes. Leur leader, le moine Wirathu, prône indirectement l’élimination de cette « race » en utilisant une propagande dangereuse et en les considérant comme des moins que rien, voir comme des animaux. L’attitude d’Aung San Suu Kyi face à ce massacre est très controversée. En effet, alors qu’elle s’est vu attribuée le prix Nobel de la paix en 2011 celle-ci ne dénonce pas les atrocités qu’endures ce peuple, et elle ne semble pas prendre leurs défenses. Même si de nombreux facteurs peuvent expliquer une telle attitude (Perte d’électeurs? Peur de se positionner face à l’armée ? Popularité ? Stratégie ?), on peut légitimement se demander si le prix à payer n’est pas trop élevé.

Une transition économique dangereuse.

Le processus d’ouverture démocratique lancé par la LND s’est également accompagné de réformes destinées à accélérer le développement économique du pays en attirant les capitaux étrangers. La Birmanie, riche en ressources naturelles attire particulièrement les investisseurs alors que le pays reste marqué par une réelle instabilité sécuritaire. De ce fait, depuis les années 90 de nombreux petits paysans ont été privés de leurs terres au profit de l’armée, d’entreprises nationales ou internationales. L’accaparement des terres pose notamment problème puisqu’il s’inscrit dans un cadre législatif flou et controversé tel que la Constitution de 2008 qui précise que l’Etat peut les confisquer les terres pour l’intérêt de la nation.
En outre, la levée des sanctions économiques imposées pour l’Union européenne et les USA a entrainé l’augmentation progressive des investissements étrangers. L’absence de cadre législatif suffisant fait redouter d’importante conséquences sur l’environnement et le respect des droits humains, particulièrement en matière de confiscation des terres.  Tout cela s’illustre par la création de zones économiques spéciales et par la promotion des exploitations agricoles à grandes échelle.  A l’heure actuelle, 3 projet de Zone économique spéciale sont lancés dont une dans l’Etat d’Arakan à Kyaukpyu qui comporte un port en eau profonde et un pipeline qui achemine le pétrole ainsi qu’un gazoduc entre la côte birmane et la province chinois du Yunnan ce qui constitue une opportunité de taille pour la Chine.
 
Le bilan de ces deux ans post-élections est bien décevant. Il est nécessaire d’agir pour le rétablissement de la paix et de la démocratie en Birmanie et c’est dans ce cadre que s’inscrit ma mission de Service civique. Je pars donc 5 mois à Rangoon avec pour objectif de créer un partenariat entre Info Birmanie (association française) et Center for Youth and Social Harmony (association birmane) et pour travailler sur les problématiques énoncées ci-dessus dans l’espoir d’oeuvrer pour une Birmanie unie dans laquelle toutes ethnies et religions se respectent et sont respectées.
 
Video de présentation de la structure d’envoi de la mission :