Birmanie : d’une révolution à une guerre oubliée ?
Depuis le coup d’État militaire de 2021, qui a renversé le gouvernement démocratiquement élu d’Aung San Suu Kyi, la junte birmane mène une guerre sanglante contre son propre peuple. Aujourd’hui, la Birmanie est un territoire déchiré par des conflits armés opposant les Forces de défense populaires (PDF), diverses organisations ethniques, et la Tatmadaw (l’armée birmane). À cela s’ajoutent un vaste mouvement de désobéissance civile, un génocide en cours contre les Rohingyas dans l’État de Rakhine, ainsi que l’émergence de centres d’arnaque le long de la frontière thaïlandaise.
Alors que le pays subissait déjà une crise humanitaire aiguë, aggravée par les coupes budgétaires américaines, les régions centrales ont été frappées le 28 mars 2025 par un séisme de magnitude 7,7. La junte fait état de 3 735 morts, mais les estimations indépendantes avancent un bilan bien plus lourd, proche de 10 000 victimes.
Selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), 6 520 civils ont été tués par l’armée, et 29 044 sont actuellement emprisonnés. Le dernier rapport des Nations unies estime à 3,6 millions le nombre de déplacés internes. Mais au-delà de ces dynamiques, la position géostratégique du pays, à la croisée des sphères d’influence chinoise et indienne, confère à la crise birmane une portée régionale majeure.
En clair, la Birmanie n’est pas confrontée à une seule crise, mais à une multiplicité de crises qui s’alimentent les unes les autres. Même si les combats devaient cesser aujourd’hui, il faudrait sans doute des décennies pour espérer retrouver un niveau de stabilité et de vie similaire à celui d’avant le coup d’État.
Révolutions asiatiques : une solidarité à réinventer ?
Face à cette urgence humanitaire et à la souffrance humaine, on pourrait croire que les mouvements de solidarité internationale se seraient mobilisés pour soutenir le peuple birman et porter la voix des victimes du régime. Mais à quand remonte la dernière manifestation en soutien à la Birmanie ? La dernière intervention d’un responsable politique ? La dernière mention du pays dans le débat public ?
Aujourd’hui, la résistance est essentiellement soutenue par sa diaspora, établie à l’étranger, qui travaille sans relâche pour maintenir la lutte vivante. Elle envoie massivement des fonds aux groupes armés, cumule les heures supplémentaires, jongle entre plusieurs emplois, organise des collectes, tout est bon pour contribuer. Mais cette diaspora s’épuise, et fait face à une répression extraterritoriale particulièrement violente. Les passeports ne sont pas renouvelés dans les ambassades de la junte, les livrets de famille sont transmis aux autorités à cause des accords administratifs maintenus, et des menaces pèsent sur les proches restés en Birmanie. C’est une répression qui a lieu ici, chez nous, tout près, et pourtant, elle reste largement ignorée.
En Occident, la Birmanie est devenue une cause oubliée. Ce schéma n’est pas propre à ce seul pays, il est symptomatique du désintérêt plus large pour les luttes et les tragédies asiatiques, alors même que l’Asie est aujourd’hui le théâtre de certaines des révolutions les plus courageuses de notre epoque.
Car oui, la guerre civile birmane, comme tant d’autres, est née d’abord d’une révolution populaire. Pendant longtemps, les Bamars, groupe ethnique majoritaire et historiquement central dans les sphères de pouvoir, ont tacitement soutenu la junte, en échange de sa protection et d’une position privilégiée dans la hiérarchie sociale. Mais 2021 a marqué une rupture historique. Après le coup d’État, des manifestations massives ont secoué tout le pays, rapidement écrasées dans le sang. Tandis que certains qualifient déjà la décennie passée de « parenthèse démocratique » dans l’hisoire Birmane, l’élan populaire ne s’est jamais réellement refermé, et la résistance actuelle montre qu’une génération de Birman·e·s n’est pas prête à abandonner le combat.
Les professionnel·le·s du service public ont initié un vaste mouvement de désobéissance civile, soutenue par la jeunesse. Lorsque la répression s’est intensifiée, nombre d’entre eux ont fui les villes pour rejoindre les zones périphériques, où ils ont pris les armes aux côtés des groupes armés ethniques. Pour la première fois, les Bamars des plaines centrales ont été contraints de déconstruire les préjugés hérités de décennies de dictatures. Ces barrières se sont peu à peu estompées, laissant place à de nouvelles formes de solidarité. C’est cela, la Birmanie d’aujourd’hui, un peuple contraint d’entrer en conversation, réinventant collectivement l’espoir d’une Birmanie démocratique, ou du moins, débarrassée de sa junte.
Mais la Birmanie n’est pas un cas isolé. Ce n’est pas la seule révolution que l’Asie ait connue ces dernières années. En 2024, le mouvement étudiant bangladais a renversé en quelques semaines le régime autoritaire de Sheikh Hasina. En 2020, les étudiant·e·s thaïlandais·es sont descendu·e·s dans la rue après la dissolution du parti pro-démocratique, ouvrant la voie à de nouveaux espaces de contestation et de débat.
Alors que les révolutions de notre époque émergent principalement en Asie, pourquoi les mouvements militants européens persistent-ils à détourner le regard ? Pourquoi ce silence face à des luttes qui, ailleurs, redéfinissent les contours de la démocratie et de la justice sociale ?
Les véritables révolutions, comme le soulignait déjà Anna Julia Cooper il y a plus d’un siècle, prennent racine dans le Sud global. Les ignorer, c’est se condamner à une solidarité à géométrie variable, fondée sur une illusion d’universalité. Si l’on aspire à une véritable solidarité, il faut commencer par écouter ces voix, les reconnaître et apprendre d’elles. Pour envisager l’avenir de nos luttes sociales, il est essentiel de porter notre regard vers cette région que nous connaissons encore trop peu, et de commencer à tisser des liens avec ces mouvements, au-delà de la sphère d’influence française héritée de l’époque coloniale, qui a trop longtemps restreint la géographie de nos solidarités.

Diplômé en relations internationales, je suis passionné par les questions liées aux modes de contestation sociale dans les régimes autoritaires et porte un intérêt particulier à la sécurité des civils dans les zones de guerre.
Dans le cadre de ma mission avec Info Birmanie, je participe à des actions de plaidoyer visant à mettre en lumière la situation en Birmanie et à mettre fin au soutien des acteurs économiques français à la junte.