Nos lieux, nos luttes: espaces de solidarité internationale face à la montée de l’extrême droite

« Paris est nazi, Lyon est nazi aussi » – ce slogan fasciste a été scandé par des militants de la mouvance d’ultra-droite le 16 février lors de l’attaque des locaux de l’Association culturelle des travailleurs immigrés de Turquie (ACTIT). Ces individus ont violemment agressé et poignardé un militant présent à la projection d’un film organisé par le collectif antifasciste Young Struggle. Dans un pays de plus en plus marqué par l’activisme de groupuscules d’extrême droite, la capitale n’échappe pas à cette radicalisation. Désormais, ces discours et actes haineux s’expriment sans retenue dans l’espace public, témoignant d’un climat politique de plus en plus permissif à leur égard. Loin de s’en cacher, l’attaque a été fièrement revendiquée comme en attestent les stickers laissés sur place par Kop of Boulogne (KOB), groupe de hooligans d’extrême droite proche des Zouaves Paris et du GUD pourtant déjà dissous. Si cette résurgence des groupes d’extrême droite est possible, elle l’est rendue par un gouvernement qui contribue à la banalisation de l’extrême droite dans le paysage politique français. La diffusion quotidienne de ses idées est permise par la machine médiatique qui lui sert de marchepied. Pire encore, loin de la combattre, le pouvoir en place ne cesse de la favoriser en imitant son projet. Pour le journaliste Sébastien Bourdon, spécialiste de l’extrême droite, c’est un phénomène « qui s’intensifie sur fond de fascination de la société et de succès électoraux du Rassemblement national : la recomposition et la montée en puissance de l’extrême droite radicale ».

Montée de l’extrême droite

Cela fait déjà plusieurs années que l’extrême droite étend son influence à l’échelle mondiale. Cette montée en puissance ne se limite pas à la France, mais s’observe dans de nombreux pays européens comme l’Allemagne, l’Italie ou la Hongrie, ainsi qu’au-delà du continent, notamment aux États-Unis et au Brésil. Partout, les discours nationalistes et réactionnaires retentissent. Or, un coup d’œil aux pays où l’extrême droite a pris le pouvoir montre une tendance récurrente : elle cherche à s’affranchir des lois, y compris du cadre juridique international, à affaiblir les contre-pouvoirs démocratiques et restreint l’accès au droit pour les citoyen.nes et la société civile. Cette dynamique se traduit par un ancrage croissant de ses idées dans l’espace public, une légitimation de ses discours et une consolidation de son influence politique. Cette montée réactionnaire prend racine dans un contexte de crises multiples que nous traversons aujourd’hui, marquées par l’accroissement des inégalités et de la précarité, dans un nationalisme ambiant qui se renforce. L’extrême droite prospère sur ces tensions en adoptant une rhétorique identitaire et sécuritaire qui fracture la société et stigmatise certaines populations, notamment les personnes exilées, les personnes d’origine étrangère, les femmes, les dissidences sexuelles et de genre et les acteur.rices de la société civile. Entre-temps, les États ont trouvé une opportunité dans ces crises pour renforcer la surveillance et l’enfermement de masse, affaiblir les processus démocratiques et défaire les formes d’organisation populaire naissantes. Au-delà de sa présence électorale, les idées d’extrême droite s’imposent également par des stratégies d’intimidation et de violences. L’extrême droite mène une double offensive : d’une part, par l’action de groupuscules radicaux ; d’autres part, par des décisions institutionnelles qui restreignent progressivement les libertés démocratiques.

Attaques des groupuscules d’extrême droite : une menace croissante contre les lieux de solidarité

Les attaques perpétrées par des activistes néofascistes se multiplient à un rythme inquiétant. Rien qu’entre le 16 et le 26 février, cinq agressions ont été recensées, allant d’attaques physiques à des actes de vandalisme. Paris, Bordeaux, Rennes, Jargeau, Montmorency : autant de villes marquées, en l’espace d’un mois, par des violences commises par l’extrême droite avec l’absence de réactions du pouvoir public, qui montre leur désinvolture totale face à la montée de groupes fascistes. L’impunité dont ces derniers semblent bénéficier, renforcent leur audace et leur capacité de nuisance.
Les lieux de solidarité, les associations ainsi que les militant.es sont régulièrement pris pour cible en raison des valeurs de solidarité qu’ils portent. Cette hostilité est le symptôme de l’imprégnation croissante de l’extrême droite, qui se traduit par la normalisation de propos et d’actes hostiles envers les personnes marginalisées et des structures qui les soutiennent. Cette situation crée un climat d’insécurité pour les acteur.rices de la solidarité et entrave leur capacité à lutter. A travers les années, Le CICP et quelques associations domiciliées ont été régulièrement menacés pour les idées qu’ils défendent. Un lieu notamment ciblé par des groupuscules d’extrême droite, attaqué et menacé avec des tags et affiches haineux. Plus largement, les locaux associatifs sont ponctuellement attaqués et vandalisés, les réunion publiques perturbées, les librairies, les centres sociaux et culturels, les plannings familiaux, ZAD, tiers-lieux ou encore bars associatifs fréquemment pris pour cible (liste non exhaustive). A titre d’illustration, le 10 octobre 2024, un groupe de quatre militants d’extrême droite a tenté de perturber une réunion publique des Soulèvements de la Terre organisée au tiers-lieu Le Concept à Lorient en Bretagne, la librairie Fracas a également été prise pour cible à deux reprises fin 2024 et février 2025 avec un liquide rougeâtre aspergé sur la porte d’entrée. La liste des exactions est longue et va malheureusement s’allonger si on n’engage pas tous les moyens pour l’empêcher.

Répression étatique et dérive autoritaire : l’entrave aux libertés associatives et sociales

L’extrême droite n’est peut-être pas officiellement au pouvoir en France, mais les choix politiques et les discours des gouvernements successifs s’en rapprochent. On voit côte à côte, macronistes, républicains et même socialistes s’accorder sur les budgets, rendre hommage à Jean Marie Le Pen et voter toute une série de lois qui précarisent davantage les marginalisé.es et intensifient la violence d’un quotidien d’exploitation. L’extrême droite constitue une menace directe pour l’action associative et citoyenne. Ses député.es ont, à plusieurs reprises, soutenu des amendements visant à couper les subventions ou supprimer le bénéfice de la défiscalisation des dons aux associations. Dans les territoires où elle détient le pouvoir, les associations sont traitées avec mépris, empêchées de se réunir, privées d’accéder à des locaux publics, ou encore exclues des financements publics essentiels à la réalisation de leurs missions d’intérêt général.


Le nombre record de dissolutions d’associations depuis 2017 constitue un signal alarmant de dérive autoritaire de la part du pouvoir étatique. Plus de 40 décrets de dissolution visant des associations ou des collectifs ont été prononcés par le gouvernement Macron, représentant près de 45% des décrets prononcés depuis 1936. De nombreuses organisations contestataires liées aux mouvements sociaux sont notamment visées. La dissolution du Groupe antifa Lyon et environs (Gale) en 2022, première dissolution de « l’extrême gauche » depuis Action directe en 1982 et de la toute première concernant un groupe antifasciste, suivie des dissolutions prononcées des Soulèvements de la terre et du collectif rennais la Défense collectif constitue un outil légitimé de gestion de conflictualité politique. Ces décisions gouvernementales marquent ainsi une rupture par rapport aux pratiques usuelles puisque les organisations ciblées sont généralement des groupes violents ou fondés sur une idéologie d’extrême-droite raciste. Cette stratégie répressive n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans un héritage colonial, où la dissolution administrative a longtemps constitué une arme privilégiée contre les organisations anticolonialistes. Bien avant l’instauration de politiques de contre-insurrection dans les années 1950, la répression des mouvements indépendantistes passait déjà par des dissolutions administratives.

Les récentes politiques d’externalisations et de réduction des coûts appliquées dans l’ensemble des services publics sont également là pour nous le rappeler. A l’issue de la Commission mixte paritaire sur le Projet de loi de finances 2025, la logique qui a prévalu jusqu’au bout à la constitution du budget privilégiant largement les coupes dans les dépenses publiques par rapport à l’augmentation des recettes, ce au détriment de la justice fiscale. Ce nouveau budget imposé par Bayrou et Macron à coup de 49.3 vise à économiser plus d’une cinquantaine de milliards d’euros. Forcément, c’est le secteur associatif qui en pâti, celui de l’enseignement, de la santé ou encore de la culture qui en souffre. Le gouvernement a choisi de faire de l’Aide Publique au Développement une variable d’ajustement du budget 2025. Aucune autre politique publique en proportion de ses budgets que la solidarité internationale n’a été impactée à ce point : amputation de 37% du budget global, soit une coupe de 2 milliards d’euros, à l’image des États-Unis qui a suspendu son aide internationale.

L’expulsion violente des mineur.es isolé.es occupant la Gaîté Lyrique depuis 3 mois, ce mardi 18 mars, prouve encore une fois que la répression policière constitue l’un des instruments privilégiés de l’État pour maintenir « l’ordre », contenir les mobilisations sociales et étouffer les revendications populaires. Cet usage de la force s’inscrit dans une stratégie plus large de criminalisation des luttes. Dans le communiqué du Collectif des jeunes du parc de Belleville, on peut y lire « Nous n’avons jamais vécu une telle situation en plein Paris. Que tout le monde prenne conscience de ce qui se joue autour de notre lutte : il ne s’agit pas seulement du droit à l’hébergement pour les mineurs isolés, mais bien d’une bataille contre l’extrême droite et son monde ». Cette répression ne vise pas uniquement à évacuer un lieu, mais participe à un projet politique plus vaste où les logiques sécuritaires et les idées de l’extrême droite façonnent les réponses institutionnelles aux revendications sociales.

Enfin, depuis plusieurs décennies, les associations subissent une diminution de leur espace d’expression, de leurs libertés et de leurs droits sous l’effet des politiques néolibérales et plus récemment, sous couvert de lutte contre le terrorisme et de la sécurité publique. On peut le voir avec la récente proposition de loi de surveillance relative au « narcotrafic », en plus d’être un texte liberticide pour de nombreuses personnes déjà précarisées, elle représente également un danger grave et éminent pour le militantisme. Loin de se limiter au seul trafic des stupéfiants, le texte donne à l’État des pouvoirs considérables en termes de surveillance numérique. Il pourra espionner tout.e citoyen.ne sur simple suspicion, au moyen de surveillance algorithmique du trafic internet pour repérer de façon automatisée certaines communications. Il se pourrait que cela fracture gravement la capacité des personnes engagées à s’organiser, et donc à constituer un contre-pouvoir face aux attaques du gouvernement. En esquissant les grandes lignes d’une société de surveillance et de contrôle qui s’étend au-delà de la prison, la pensée de Foucault dans Surveiller et punir, est plus que jamais, d’actualité. Le panoptisme est désormais disséminé dans toutes les strates de la société.

Tous ces éléments montrent qu’aujourd’hui, la répression du mouvement social atteint un niveau sans précédent et qui s’inscrit dans une volonté assumée d’affaiblir les formes de résistance et de contestation. L’acharnement gouvernemental contre les structures de défense collective ne constitue pas seulement une atteinte aux associations elles-mêmes, mais bien une attaque directe contre le droit de s’organiser et de lutter. Dans ce contexte, la défense des libertés associatives demeure un enjeu central, car elles sont perçues comme une menace par les gouvernants et les puissances économiques, précisément parce qu’elles permettent de structurer une opposition au modèle dominant.

Les lieux de solidarité face à la monté de l’extrême droite

L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite mettrait en danger de nombreuses structures œuvrant pour la solidarité, la justice social ou encore l’environnement, en plus d’une situation déjà précaire en raison de ressources humaines et financières limitées. Reposant sur un équilibre fragile entre activité économique et engagement militant, celles-ci sont pourtant indispensables pour faire vivre la démocratie et permettent d’agir là où l’État est défaillant. Leur richesse réside dans leur diversité et dans la liberté qu’elles offrent. Battre l’extrême droite exige de comprendre ce qu’elle est, avec ses mensonges, ses faux-semblants et ses mesures de régression sociale, mais aussi de proposer une alternative véritable qui aide à se coordoner. Les lieux sont une stratégie politique à part entière. Il devient alors urgent de miser sur la solidarité et de s’organiser collectivement pour faire vivre des espaces, renforcer l’organisation collective, développer des stratégies de résistance durables, échanger des savoirs et inventer des alternatives face au mépris et à la haine. Ces lieux collectifs – qu’il s’agisse de maison des associations, lieux d’hébergement solidaires, centres sociaux autogérés, squats, cantines solidaires, librairies indépendantes, centres LGBTQIA+ ou encore bars et cafés associatifs – permettent de maintenir des espaces d’échanges, de soutien et d’alternatives sociales. Mais au-delà de leur existence individuelle, ces espaces doivent tisser des liens entre eux afin de mutualiser leurs pratiques, de diffuser leurs initiatives et d’élargir leur visibilité. Cette mise en réseau favoriserait le partage d’expériences, le soutien mutuel et la coordination d’actions collectives à une échelle plus large. Dans ce contexte, il est essentiel de soutenir ces dynamiques et de rester vigilant face aux offensives politiques et idéologiques visant à affaiblir les espaces de solidarité.