Rétrospective et premier mois au COPAF et au DAL.
J’ai vraiment l’impression d’être une éponge. Qui vient tout juste d’être essorée. J’en ai observé des choses, qui m’intriguaient, qui me semblaient bel et bien anormales mais qui me paraissaient indéfinissables ou un peu trop complexes pour moi.
C’est ce que j’étais lorsque j’allais chez mon père et que je voyais, presque tout le temps, des « tontons » chez lui, des habitués comme des nouveaux. Je ne lui ai toujours pas demandé pourquoi il y avait autant d’hommes chez lui. On aurait dit une sorte d’internat et j’avais l’impression d’être une intruse qui observait un monde un peu étrange. Et quand je rentrais chez ma mère elle me demandait quel tonton j’avais vu cette fois. Et moi je répondais la plupart du temps par «Je sais pas, je connais pas son nom» mais j’essayais de les décrire physiquement pour savoir si elle en connaissait quelques uns. Pourtant je bavardais un peu avec eux et ils étaient bienveillants avec moi. Je me disais que mon père devait être très populaire, qu’il avait beaucoup d’amis.
C’est une situation à laquelle je n’avais jamais vraiment réfléchi. Je ne pense pas avoir questionné à ce moment-là les difficultés que ces hommes pouvaient rencontrer, pourquoi ils semblaient si dépendants de cet appartement qui n’était pas le leur en soi. Ce n’était qu’un emprunt. Ou peut-être pas. Encore une fois je n’en ai jamais discuté avec mon père.
Depuis que je suis au COPAF (Collectif pour l’Avenir des Foyers) et au DAL (Droit au Logement), j’en ai eu des réponses ! Des points de départ en tout cas. Un aprèm, alors que j’étais au téléphone avec mon père et que je recherchais des articles, des thèses sur les foyers, les gestionnaires et compagnie, je me suis soudainement posé la question : mais est-ce que mon père avait lui aussi vécu dans un foyer lorsqu’il est arrivé à Paris ? Il m’a répondu que oui, comme si c’était une évidence. Mais je me suis rendue compte en parlant avec d’autres adultes, à peu près de sa génération, comme Tantie K. et Madame Sy, que ça avait été une étape presque inévitable pour eux, en logeant d’abord dans un hôtel ou dans un foyer, deux lieux de vie difficiles que ce soit à cause de l’insalubrité, la taille de l’espace, le manque de droits etc…
Monsieur A.B qui, aveugle et reconnu en situation de handicap, hébergeait son fils dont il était dépendant
Le public qui vient aux permanences du COPAF vient le plus souvent pour des cas d’expulsion pour avoir hébergé quelqu’un. Pour des raisons de santé comme Monsieur A.B qui, aveugle et reconnu en situation de handicap, hébergeait son fils dont il était dépendant ou par pur souci d’aider quelqu’un qui n’a pas d’endroit où dormir. Tout est question de nécessité, de solidarité.
Cela fait des années maintenant, que les résidents luttent contre ce nettoyage des foyers et des résidences sociales, contre cette injustice et ce manque de considération pour leurs besoins, leurs droits les plus basiques. Alors que cela susciterait probablement scandales sur scandales si cela touchait la part de la population jugée « plus importante ».
Pour revenir à l’image de l’éponge, ce que je veux dire par là c’est qu’en ayant davantage pris conscience de ces luttes à travers le COPAF et le DAL, toutes les informations stockées en moi ont commencé à faire sens. Parce qu’honnêtement tout ce que je vois, toutes les personnes que je rencontre depuis plus d’un mois maintenant, m’apportent une vision du monde dont je n’étais pas aussi consciente auparavant.
Des difficultés par rapport au logement, j’en ai connu, mais ce poids a toujours été pris en charge par des adultes pour moi. Je me contentais de me déplacer avec eux, tout en me sentant protégée de celles-ci. On me traitait comme un enfant quoi. Puis quand les choses sont devenues plus simples, ces problèmes sont devenus plus lointains. C’étaient des difficultés qui ont toujours paru assez normales pour les gens de ma communauté. Mais là, en écoutant les diverses personnes présenter leur situation aux permanenciers du DAL par exemple, j’ai l’occasion d’avoir un aperçu de l’état d’esprit de ces adultes qui ont toujours porté ce poids pour alléger les autres.
Maintenant ils vont regarder qui est « vraiment » prioritaire parmi les prioritaires.
J’ai vu certains fondre en larmes ou faire ressentir leur colère et leur fatigue parce qu’ils avaient l’occasion de l’exprimer à quelqu’un qui comprend à quel point c’est difficile, injuste et absurde. Rien qu’à ma dernière permanence j’ai été face à une femme qui avait fait sa demande de logement social il y a maintenant 22 ans et qui est reconnue prioritaire DALO depuis 9 ans. Elle a donc le profil parfait pour être prise en charge et enfin être allégée de tout le poids qu’elle porte seule depuis deux décennies sur les épaules. Mais non. Comme l’a dit Fanny : « maintenant ils vont regarder qui est « vraiment » prioritaire parmi les prioritaires ». Ce qui devait être garanti est non seulement retardé mais désormais remis en question.
Donc bon, en conclusion de cette première phase sur le terrain : J’en apprends des choses, j’en entends des dingueries et j’espère pouvoir être à la hauteur.

Intéressée par les questions migratoires, les récits afro-diasporiques et les luttes sociales c’est tout naturellement que je me suis tournée vers cette mission encadrée par Echanges & Partenariats auprès du DAL (Droit au Logement) et du COPAF (Collectif pour l’Avenir des Foyer) afin d’avoir une première expérience dans la solidarité internationale et les différentes actions militantes.