Leçons des Lobby Days : Comment persuader les ‘pragmatiques’ ?

Plenary session week 22 in Brussels.

Je vous avoue, pendant le mois de Novembre 2022, j’ai un peu eu le sentiment d’être un spam ; j’ai envoyé des milliers de mails pour l’organisation et la préparation des Lobby days de la CECP (Coordination Européenne des Comités et Associations pour la Palestine) – 3 jours de plaidoyer politique pour le droit des palestinien.e.s au sein du Parlement européen.

In fine, nous avons obtenu 44 rendez-vous, ce qui est à la fois conséquent et assez minime lorsqu’on considère qu’il y a 732 eurodéputé·e·s (sans compter les membres de lareprésentation permanente des États membres pour la région Maghreb/Mashreq). Afin d’être entre 2 et 4 par rendez-vous, 22 militant·e·s majoritairement européen·e·s – mis à part un palestinien et un israélien – représentant·e·s de nombreuses organisations défendant les droits des palestinien·ne·s sont venu à Bruxelles pour les Lobby Days.

Durant ces trois jours, les va-et-vient des différents activistes illustraient les ascenseurs émotionnels induits par ces rendez-vous avec les politiques européens. Certaines des ces personnes revenaient dépitées, persuadées d’avoir perdu leur temps après avoir été confrontées à des apparatchiks soit indifférent·e·s à la cause soit trop effrayé·e·s des conséquences d’aborder un position « radicale ». D’autres, plus satisfaites, avaient pu avoir des conversations intéressantes avec des allié·e·s, mais retenaient une pointe de frustration engendrée par le poids des jeux politique sur les décisions des officiels et parlementaires européens. En effet, un député espagnol, très informé et favorable à la cause palestinienne, s’obstinait tout de même à dire que le terme apartheid était trop fort et polémique pour qu’il l’utilise. Cette désignation est toujours très controversée dans son propre parti (« Renew »), notamment du côté des eurodéputé·e·s allemand·e·s qui, à l’unisson, font barrage à l’emploi de ce terme dans le contexte palestinien.

Néanmoins, et je je ne m’y attendais pas, le pire rendez-vous fut avec un eurodéputé conservateur Polonais qui semblait justifier son support pour la cause palestinienne par un antisémitisme flagrant, ce qui a provoqué un profond malaise chez les militant.e.s qui l’ont rencontré. Heureusement, certains rendez-vous furent avec des allié·e·s inconditionnel·le·s, qui ont mis en avant leur support à la cause et se sont mis·e·s à notre disposition, prêt·e·s à entreprendre tout ce qui était en leur pouvoir pour défendre les droits des palestinien·ne·s au sein de l’UE.

Durant ces trois jours, j’ai aussi été témoin des différences générationnelles en terme de plaidoyer politique. Mes collègues plus âgé·e·s abordaient souvent une stratégie de plaidoyer fondée sur l’émotion, qui visait à toucher l’humanité de leurs interlocuteurs et interlocutrices. Une stratégie qui passait souvent par le récit d’expériences de personnes dont les droits sont bafoués , ou l’emploi d’une rhétorique visant à susciter la compassion. Néanmoins – de ce que j’ai pu observer – cette approche ne semblait pas toujours très efficace, particulièrement face aux interlocuteur·ice·s plus jeunes.

Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on est confronté à des individus qui se revendiquent « réalistes » ou, dit plus simplement, de droite. Pour mon premier rendez-vous, j’accompagnais deux activistes « seniors » pour rencontrer l’assistante d’un eurodéputé luxembourgeois. Dès l’instant où elle est venue nous chercher à l’entrée du Parlement Européen, juste en décochant quelques mots et à travers sa gestuelle, j’ai compris ce qu’elle représentait. Vous savez, lorsque quelqu’un appartient à des cercles qui ne sont pas les vôtres mais qui sont dangereusement proches tout de même ? Cette jeune française qui entamait sa vingtaine, transpirait l’ambition politique, la confiance en elle et le pragmatisme des jeunesses « macronistes ». Durant l’entretien mes collègues, voyant que derrière un modeste effort pour feindre un quelconque intérêt se cachait une impassibilité totale, ont peu à peu viré vers un discours de plus en plus « émotionnel ». En particulier en racontant les histoires de certain.e.s de leurs amis palestiniens vivant sous l’occupation, ou en décrivant les comportements de certains soldats israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Dans cette tentative désespérée de susciter ne serait-ce qu’un semblant d’émotion de sa part, leur langage a pris des allures cathartiques, et je les ai vu au travers de ses yeux à elle ; des activistes sensibles et dépassé·e·s, au service d’une cause perdue, qui ne comprenaient pas les mécanismes de l’Union Européenne et de la politique.

Initialement, cette interaction m’as mis hors de moi, mais peu à peu, elle m’a fait rendre compte du besoin de vraiment analyser les personnes à qui l’on s’adresse lorsque on fait du plaidoyer politique. Bien que cette réalisation puisse paraitre comme une évidence, elle est nécessaire car souvent, quant on est militant·e, on utilise des arguments ou une rhétorique que l’on pense fonctionnerait sur nous-même. D’où le virement vers le discours plus personnel et plus émotionnel, qui a tendance à être plus le débordement de notre propre ressenti plutôt que la meilleure stratégie pour persuader l’autre.

Dans les entretiens qui ont suivi – où j’étais avec un jeune avocat international palestinien, une stagiaire d’un organisme français de plaidoyer pour les droits des palestiniens, et un plus ou moins jeune économiste israélien – j’ai vu des styles de plaidoyer beaucoup plus agressif et « argumentatifs ». Ces activistes ne cherchaient pas tant à générer de la compassion chez leurs interlocuteur·ice·s, qui ne leurs accorderaient probablement pas, mais à former des arguments implacables qui donnaient des indications claires sur les actions que ces eurodéputé·e·s étaient en mesure de — et DEVRAIENT – faire. Ils et elles utilisaient un plaidoyer qui plaçaient ces politiques européen·ne·s dans un système responsable de l’oppression palestinienne, qui soulignait les incohérences de leurs arguments et de leur défense, qui générait chez elles et eux de la honte ou même un sentiment de peur d’être « du mauvais côté de l’histoire ».

L’affirmation — fondée sur ma courte expérience – que les personnes plus jeunes semblent utiliser une technique d’argumentation visant moins à chercher la compassion de l’autre mais plus à interpeller « sa raison » semble contre-intuitive puisqu’on est souvent perçu comme la snowflake generation, dépeinte comme moins résiliante, moins rationnelle et plus « émotive ». Il y a deux phénomènes qui peuvent expliquer pourquoi l’argumentation que je qualifie d’émotionnelle est moins efficace — et moins utilisée – chez les jeunes, en tout cas sur la question palestinienne : la professionnalisation des ONG et associations, et la désensibilisation induite par la révolution de l’information et du monde digital.

Premièrement, contrairement aux activistes plus âgé·e·s qui ont une multitude de parcours – ce qui est une richesse aussi – les militant·e·s plus jeunes présent·e·s aux Lobby Days avaient pour la plupart été formé·e·s en sciences politiques, ou en droit et économie internationale. Ces personnes ne se sont pas dévouées à plein temps à une cause qui leur est chère mais se sont formées dans le but de défendre cette – ou d’autres – cause. Donc lorsqu’elles cherchent à convaincre ou persuader leur audience, c’est un objectif qu’elles inscrivent dans leur profession et pas dans leur militantisme.

Deuxièmement, le but ici n’est pas de déclarer que ma génération est dénuée de coeur, mais peut-être qu’une exposition permanente à l’information et aux flots incessants d’horreurs divulguées sur les réseaux sociaux et la presse en ligne nous a légèrement désensibilisé·e·s. Le fait d’avoir grandi dans un monde où l’on peut accéder directement à l’expérience d’une personne à l’autre bout du globe à travers un Reels Instagram, un post Twitter ou un témoignage Al Jazeera veut dire qu’on est perpétuellement exposé·e·s aux « maux du monde ». De ce fait, nous sommes légèrement anesthésié·e·s à l’argumentation émotionnelle, particulièrement lorsque celle-ci est entreprise par un intermédiaire et a, parfois, des penchants misérabiliste.

Je pense que le témoignage perd de sa force lorsqu’il n’est pas divulgué par la personne qui l’a vécu. Et quand bien même, quand c’est le cas, ces expériences prennent toute leur ampleur lorsqu’elles sont intégrées dans des dynamiques systémiques. En plaidoyer politique, si l’on veut pousser l’autre à agir, les histoires et témoignages que l’on expose doivent illustrer une oppression systémique et s’inscrire dans un argument solide qui présente à la fois les causes et propose — quand c’est possible — des actions susceptibles d’amoindrir/anéantir le problème. 

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