Un horizon pour nos luttes

Ivo Pannaggi, 1925, Il Lavore.

Au-delà de la mission qui m’est confiée par la Confédération paysanne, j’ai pu profiter des premiers mois de ma présence en Provence – Alpes – Côte d’Azur pour aller à la rencontre des personnes qui font vivre des luttes collectives, souvent sur le terrain même de leur lieu de vie. Plus ou moins admirables selon les cas, ces personnes ont néanmoins pour point commun de sacrifier de leur temps à des fins détachées de prétentions électorales et dans le but de préserver les conditions sociales et environnementales de notre humanité. Afin de les remercier de partager leurs expériences avec moi, simple monade qui me rend à leur rencontre, il me faut prendre leurs actions, même – surtout – les plus modestes, au sérieux. C’est ce que j’ai décidé de faire ci-dessous en proposant une exécration de notre ennemi commun, quelques lignes toutes personnelles qui prennent la forme d’un jeu littéraire dans le but de nous aider à mieux le cerner pour mieux le reconnaître et mieux le combattre. Aussi, voici :

Pourquoi je déteste le capitalisme,

Parce qu’il régit mes relations aux autres et aux choses ;

Parce qu’il nous met en concurrence;

Parce qu’il m’oblige à me mettre en scène ;

Parce qu’il m’oblige à travailler pour être reconnu comme un membre à part entière de la société ;

Parce qu’il nous rend orgueilleux de n’être que des corps à vendre,
parce qu’il nous oblige à aimer les moyens de notre survie ;

Parce qu’il exige de moi que je sois mon propre négrier ;

Parce qu’il m’oblige à acheter ;

Parce que je déteste acheter ;

Parce qu’on m’a appris à acheter,
et que je me rappelle que je ferais mieux de voler ;

Parce qu’il fait naître chez moi de faux besoins, et de vraies névroses ;

Parce qu’il transforme mes loisirs en source de profit ;

Parce que la bourgeoisie lui doit son pouvoir et tire de lui son arrogance ;

Parce qu’il n’a pas d’autre fin que l’accumulation inifinie de valeur ;

Parce qu’il met en péril les conditions d’existence et de reproduction de l’humanité sur Terre ;

Parce qu’il a colonisé l’entièreté de la planète ;

Parce qu’il est la cause de la misère et de la guerre ;

Parce qu’il sépare le monde entre organisateurs et organisés ;

Parce qu’il exige de moi que je sois complice de l’exploitation qui rend hommes et femmes semblables aux choses ;

Parce qu’il exige de moi que j’organise la dégradation des autres ;

Parce que sa liberté est la liberté de se vendre ou de mourir de faim ;

Parce qu’il me sépare des autres,
par le genre, la race et la classe ;

Parce que je ne suis pas toujours capable de refuser ou d’aller contre les effets de cette séparation ;

Parce qu’il y en a pour dire que « c’est important, le travail », qu’il y en a pour défendre qu’il émancipe et libère ;

Parce qu’il y en a qui parlent de l’humaniser ou de le verdir,
parce que ces mêmes personnes acquièrent argent et position sociale par le simple fait de s’agiter pour défendre de telles inanités ;

Parce qu’il y en a pour dire qu’accepter que le capitalisme étende sa domination, sa soif de valeur, son caractère autodestructeur, sur l’ensemble de nos vies conduira à son dépassement ;

Parce qu’il y en a pour opposer la communauté des travailleurs aux parasites oisifs, chômeurs, juifs ou exilés,
parce que les boucs-émissaires ne manquent pas : juifs, chômeurs, marginaux ;

Parce qu’il y en a pour dire qu’il suffirait de faire la grève de la consommation pour le changer ;

Parce que l’État est sa chose, son complice et n’existerait pas sans lui ;

Parce qu’il y en a pour appeler l’État à leur secours face à lui ;

Parce qu’enfin, il y en a pour dire qu’il est possible d’y mettre fin sans nous changer nous-mêmes, nous qui sommes nés et vivons par et sous lui.

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