Des mineur.e.s mal-aimé.e.s
« À 18 ans, tout nous est permis. ». S’il est bien facile de se réjouir de ce simulacre de maturité, souriant lors de la réception de sa carte d’électeur ou narguant d’un sourire prétentieux le.a vendeur.se lors de l’achat de quelques spiritueux ; pour d’autres jeunes l’entrée dans la majorité peut être une source d’angoisse administrative. Assurément pour les mineurs non-accompagnés, elle signe l’approche de leur sortie de l’aide sociale à l’enfance. C’est le cas de Tidiane, il ne célébra pas sa majorité. Sa minorité à son arrivée en France est arbitrairement remise en cause par un test osseux, malgré un état civil qui indique l’inverse, le département l’écarte de son droit et force sa structure d’accueil à l’exclure, ses 18 bougies s’éteignent sans un souffle.
Le 31 mai 2013, sous l’initiative de Christiane Taubira alors Garde des Sceaux, l’État français reconnait sa responsabilité dans la prise en charge des mineur.e.s isolé.e.s étranger.e.s comme relevant de l’aide sociale à l’enfance au même titre qu’un enfant français. Selon le texte les personnes mineures étrangères sont mise à l’abri, orientées et prise en charge mais également soumis à « l’évaluation de la minorité et de l’isolement du mineurs ». Et d’autre part, leur placement est soumis à la territorialisation de l’accueil, et devra être réparti sur l’ensemble du territoire.
Cependant si sur le principe la protection des mineur.e.s isolé.e.s relève de la compétence de la protection de l’enfance, dans la pratique, l’évaluation de l’âge jalonne la réelle protection de l’enfant, participant d’une politique discrétionnaire, la « politique de la preuve » selon Noémie Paté[1], sociologue spécialisée sur les migrations juvéniles et les droits de l’enfants. Les personnes sont soumises à des tests osseux, malgré le peu de fiabilité du processus. Selon l’article 138 du code civil : « Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. ». Bien que de nombreuses autorités médicales, juridiques et éthiques s’associent à plaider la non-adaptabilité du processus qui est un examen à caractère médical et non juridique, celui-ci continue d’exclure des mineur.e.s de leur droit à l’enfance, et leur nombre est difficilement quantifiable[2].
De plus le Défenseur des droits et de nombreuses organisations militant pour les droits de l’enfant et/ou ceux personnes étrangères en territoire français, relèvent que malgré la qualité de certains services de l’ASE, de nombreux mineur.e.s subissent sont la proie de négligence, preuve de discrimination à leurs égards. La Défenseure des droits « constate par exemple régulièrement que de nombreux mineurs non accompagnés sont hébergés en hôtel, sans accompagnement éducatif réel. Il en résulte une discontinuité de l’accompagnement de ces adolescents et un accès à leurs droits peu effectif, les mineurs restant livrés à eux-mêmes, sans réel accès à la santé et parfois même non scolarisés (…) La multiplication ces dernières années de dispositifs dédiés, à bas coût, au nom d’une autonomie relative des mineurs non accompagnés, participe d’une forme de relégation de ces derniers aux frontières de la protection de l’enfance, discriminante par rapport aux autres enfants en danger, alimentant l’idée d’un droit d’exception qui leur serait applicable. »[3].
Mais dans ces dédales sombres il existe des lieux de répits et d’espoirs comme c’est le cas en Pays Viganais. Un hameau nommé Salagosse, perché à 760 mètres d’altitude, abrite une maison d’enfance à caractère sociale, le Centre Louis Defond, un véritable lieu de vie, de formations et de loisirs où environ 40 mineurs étrangers, principalement des garçons sont accueillis et accompagnés quotidiennement dans la bienveillance et la persévérance des éducateur.rices, des enseignant.e.s, des assistant.e.s sociaux et de tout le personnel dévoué. Reconstruit dans les années 1950 par l’association les amis de Tatihou, le hameau prend au départ comme mission la formation de jeunes délinquant.e.s, mais depuis 2013 son public change ouvrant ses portes à des jeunes de 13 à 21 ans ayant fuis leur pays. L’enseignement et l’accès aux droits s’est réadapté en offrant notamment des cours soutenus de français, et un accompagnement pour accéder au droit de séjour.
Pendant 2 ans et demi, les jeunes suivent des cours de français langue étrangère, de culture générale et d’éducation civique puis développent leur savoir-faire en maçonnerie, métallerie-serrurerie ou peinture. Ils passent leur examen de CAP au Lycée professionnel avec un taux de 100% de réussite. Chaque élève parvient à accomplir 14 semaines de stages pendant sa formation, et la quasi-totalité des jeunes sont embaucher à leur sortie du centre selon Nicolas Gauthier, chef de service de l’internat. « L’artisan veut souvent embaucher le jeune sans délai, mais sans nos liens avec les services compétents, cela prendrait des mois »[4], indique Stéphane Sauvage, éducateur spécialisé du centre. En effet les travailleur.se.s social accompagnent les jeunes diplômés dans les dédales administratives afin de permettre leur insertion professionnelle une fois sorti de Salagosse.
Au-delà d’un centre de formation, le Centre Louis Defond procure aux jeunes un lieu d’épanouissement. Des résidences d’artistes ont dans le lieu afin de faire d’initier ou renforcer la passion des jeunes à toutes sortes d’expression artistiques (musique, théâtre ect.) et de maitrise de médiums comme la photo, la technique du son, la vidéo ect[5]. Les jeunes ont ainsi organisé leurs propres festivals en 2017 où chacun peut s’investir de la manière qu’il le souhaite et mettre en avant ses talents artistiques. Le centre emmène également les adolescents pour des vacances à la mer ou à la montagne dès qu’ils le peuvent[6].
Cependant malgré leur dévouement, leur créativité et leur hospitalité, leur travail consacré et le temps de séjour des jeunes dépend lui aussi des restrictions du département et du peu de fiabilités des évaluations sous juridictions nationales. Si ces pratiques pourtant vivement critiquées perdurent, c’est qu’elles masquent l’hostilité systématique à l’immigration de l’État français, sans considération pour le droit à l’enfance.
[1] Paté, Noémie. Résumé thèse, « L’accès – ou le non-accès – à la protection des mineurs isolés en situation de migration. L’évaluation de la minorité et de l’isolement ou la mise à l’épreuve de la crédibilité narrative, comportementale et phyique », dir. Elisabeth Claverie, Université Paris X Nanterre, 2018. https://www.infomie.net/IMG/pdf/resume_de_these_pate_noemie.pdf
[2] Lamarche-Vadel Gaëtane, « Tests osseux pour les mineurs étrangers isolés », Multitudes, 2016/2 (n° 63), p. 151-158.
[3] Défenseur des droits, Synthèse « Les mineurs non accompagnés au regard du droit. », 2022, p.13. https://www.infomie.net/IMG/pdf/ddd_rapport-les-mineurs-non-accompagnes-au-regard-du-droit_synthese_20210124.pdf
[4] Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, « Garantir à la société française des jeunes correctement intégrés » par Laurent Duguet, le 04/12/2019
[5] Agenda Communauté de Communes Pays Viganais. https://www.cc-paysviganais.fr/medias/2017/12/ete-2017-web.pdf
[6] Midi Libre, « Le centre Louis-Defond a aussi effectué sa rentrée », publié le 16/09/2019. https://www.midilibre.fr/2019/09/16/le-centre-louis-defond-a-aussi-effectue-sa-rentree,8416290.php
Diplômée en Développement Social à l’IEDES, j’ai une passion pour la recherche. C’est pourquoi je me suis engagée en tant que volontaire, auprès de l’Alliance Migrations, pour mener une enquêter de terrain sur les pratiques d’accueil des migrants à l’échelle locale dans les Cévennes gardoise, et cela à partir de la ville du Vigan. C’est dans cette commune des montagnes que j’ai été accueillie par le collectif d’habitant.e.s que j’épaule autant comme bénévole, que comme un regard extérieur.
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