Féministes avant l’heure ? – Les Béguines : autonomie et sororité

Après avoir écrit sur l’église St Jean-Baptiste du béguinage (dans le cadre de l’article sur la grève de la faim des sans-papiers), je décide de me pencher plus sérieusement sur le mouvement du béguinage, mouvement dont j’avais souvent entendu parler dans les milieux féministes mais auquel je n’avais pas réellement prêté attention. Je découvre finalement un vaste monde décrivant un mode de vie alternatif géré par des femmes et pour des femmes en plein Moyen-Age. 

A quand remonte les premiers mouvements féministes, rassemblement revendicateur de femmes, de minorités de genre ? Ces questions font de plus en plus l’objet de recherche d’historien.ne.s enquêtant sur les traces de signes d’autonomie, d’indépendance. Les sorcières et tout l’univers qui en ressort a par exemple était largement documenté. 

Or, ces dernières années, plusieurs chercheur.euse.s se sont penché.e.s sur un important mouvement de femmes autonomes émergeant au 13ème siècle dans plusieurs villes de Belgique et des Pays-Bas : le mouvement du béguinage. Ce mouvement fait référence à des groupements de femmes vivant de manière non mixte et collective au sein de petit village à l’intérieur d’espaces urbains.  

Alors qui sont ces femmes vivant à l’écart des hommes ? Comment ce mouvement a-t-il émergé ? Luttaient-elles avant l’heure contre le système patriarcal ?   

Le 11ème siècle annonce le début de la période grégorienne, période marquée par son cléricalisme où l’église a une place prépondérante dans la sphère politique et civile de la société. Or, cette domination de l’église va susciter des oppositions donnant naissance à divers mouvements contestataires voulant vivre à l’écart du pouvoir clérical.

Au sein de cette diversité de mouvements, ce sont les mouvements de femmes qui vont connaitre un essor important. Une raison est souvent rapportée à ce développement. Il semblerait en effet qu’au 13ème siècle, le nombre de femmes dans les villes d’Europe du Nord était assez important par rapport au nombre d’hommes. Ne pouvant subvenir seule à leurs besoins, les femmes se seraient donc organisées en communauté solidaire. 

D’autres sources mettent en avant le fait que les béguines seraient issues de milieux pauvres et ne pouvaient donc payer la dot nécessaire pour un mariage ou bien pour se rendre au couvant. Des chercheur.euse.s affirment au contraire que les béguines seraient des veuves ou des femmes mariées voulant dédier leurs temps à des causes sociales. Ces différentes sources illustrent finalement la pluralité des identités sociales des béguines.

Mais contrairement aux communautés de bonne sœurs, les béguines sont des femmes dites semi religieuses ne dépendant pas de l’église catholique. Elles n’ont pas de règles religieuses précises et, surtout, elles ne font pas le vœux perpétuel de s’adonner à la vie religieuse toute leur vie. Les béguines souhaitent en fait mener une vie religieuse comparable à celles des hommes en pouvant diffuser et enseigner leur foi, être autonome financièrement et matériellement (en étant notamment propriétaire de leur propre maison). 

Pour tendre vers cette autonomie collective, les béguines s’organisaient en béguinage (littéralement l’espace architectural désignant les villages des béguines) majoritairement dans des espaces urbains. Elles s’inséraient en effet dans les villes ou aux portes de celles-ci en constituant progressivement des petits villages reconnaissables par leurs maisons homogènes autour d’une église. 

Porte du béguinage de Diest
Béguinage de Louvain (cercle rouge) en Flandres

L’organisation y était hiérarchique et en non mixité. Les communautés étaient dirigées par ce qui était nommé des grandes maîtresses, maîtresses désignées par le biais d’une élection à laquelle participait les  béguines.

Les béguinages étaient des villages pratiquement auto suffisants puisque les femmes y exerçaient des activités économiques parfois très influentes comme dans l’industrie du drap à Bruxelles. Au delà de leurs activités lucratives, les béguines venaient en aide aux personnes les plus démunis. 

Statut de béguines – Béguinage de Diest

Néanmoins, ces collectivités de femmes autonomes ont très vite représenté une menace pour l’église qui les accusait d’hérésie. D’ailleurs dés le début du 13ème siècle, l’église interdit la création de toute nouvelle organisation monastique et impose aux béguinages d’être soumis à une autorité monastique. Les béguinages ont malgré tout persistaient jusqu’au 15ème siècle ou celles-ci seront victimes de persécution et où plusieurs villages de béguines seront détruits. 

Postérité

Malgré son caractère historique, le mouvement des béguines a su influencer les sociétés contemporaines. Tout d’abord au point de vue urbanistique ; l’institutionnalisation de ce mode architectural homogène, forme de village dans la ville va inspirer par la suite les architectes et urbanistes du 20ème siècle développant notamment le modèle de la cité jardin. 

Cité-jardin de Watermael-Boitsfort à Bruxelles

Les béguines ont également laissé leurs empreintes sociales dans les villes comme à Bruxelles où l’ancien béguinage (détruit durant les guerres de religion) est aujourd’hui un quartier de logements sociaux du CPAS (Centre Public d’Action Sociale). 

Enfin, le mode de vie des béguines inspirent encore aujourd’hui des personnes dans des projets d’habitats collaboratifs et non mixte. C’est le cas par exemple de la maison des Babayagas à Montreuil pour les  femmes âgées ou encore le projet bruxellois Calico composé entre autre d’une maison pour les femmes en situation de précarité. 

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