Grèce : droit d’asile bafoué, droits humains violés

Nous sommes le mardi 12 octobre 2021, il est 14 heures et je pose pour la première fois un pied sur le sol grec. Me voilà arrivée à Thessalonique, en Grèce du Nord.

Le voyage s’est fait si rapidement. Il aura fallu seulement 3 heures pour relier Paris à Thessalonique. Pourtant, des années seront nécessaires pour atteindre la France pour toute personne n’ayant pas eu la chance de naître avec le bon passeport.

Juriste de formation, mes différentes expériences dans le domaine de la défense des droits des personnes exilées ont été révélatrices de la multitude d’obstacles qui entravent l’accès des étrangers aux droits fondamentaux en France et en Europe. Ces expériences m’ont permis de mesurer l’écart entre les droits proclamés et les droits effectivement exercés, et de faire le constat des violations des droits humains tant dans les pays d’origine, sur la route migratoire que dans les pays « d’accueil ».

La Grèce est l’une des principales portes d’entrée dans l’Union européenne pour les personnes souhaitant demander l’asile. Porte d’entrée ? Géographiquement seulement. En effet, l’Union européenne et notamment la Grèce, pratiquent une politique de la « porte fermée » (1) s’inscrivant dans une continuité historique de dissuasion et de répression de la migration et ce, au mépris des droits des personnes migrantes. 

L’externalisation de la question migratoire, entre politique d’enfermement et refoulements illégaux

Depuis deux ans, le nombre d’arrivées a largement diminué, et pour cause, la Grèce et l’Union européenne ont mis en place une politique d’externalisation de la question migratoire.

Celle-ci se traduit par l’enfermement, l’encampement et la mise à l’écart des exilés. Entrave grave à la liberté de circulation, l’ouverture mi-septembre 2021, sur l’île de Samos d’un nouveau camp ultra-sécurisé, financé par l’Union européenne, ayant toutes les caractéristiques d’une prison illustre parfaitement cette politique.

En parallèle, les refoulements illégaux de migrants par les autorités grecques dits « pushbacks » se multiplient. Pratique bafouant les droits et violant les traités européens et internationaux, celle-ci consiste à empêcher les demandeurs d’asiles de déposer leur demande.

L’Europe, quant à elle, ferme les yeux. En effet, Frontex, l’agence européenne chargée de surveiller les frontières extérieures de l’Europe et présente à la fois sur les îles grecques et à la frontière terrestre de l’Evros, est accusée d’être impliquée dans les refoulement illégaux de migrants. En mai 2021, plusieurs ONG ont déposé plainte contre l’agence auprès de la Cour de justice de l’Union européenne pour violations graves et persistantes des droits fondamentaux et de non-assistance à personnes en danger.

La désignation de la Turquie comme « pays tiers sûr », une entrave supplémentaire à l’accès à la protection internationale

S’ajoutent à cela les dernières mesures prises par le gouvernement grec, venant durcir les conditions de demande d’asile en Grèce et entraver l’accès à la protection internationale. Depuis une décision du 7 juin 2021, la Turquie est considérée comme un « pays tiers sûr » pour les demandeurs d’asile originaires de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh et de Somalie. Concrètement, cela signifie qu’un demandeur d’asile d’une de ces cinq nationalités, passé par la Turquie avant d’arriver en Grèce, peut y être renvoyé.

Mécanisme extrêmement dangereux dont on ne peut pas nier le risque d’être potentiellement renvoyé de la Turquie vers son pays d’origine, il ajoute aussi une longue étape supplémentaire pour les personnes originaires de ces pays. Pour voir examiner leurs demandes d’asile au fond, ces personnes sont donc au préalable contraintes de prouver que la Turquie n’est pas un pays sûr pour elles.

La région Nord de la Grèce occultée

Si la situation désastreuse aux frontières maritimes, et notamment dans les îles grecques de Lesbos, Samos, Chios, Kos et Leros, est relativement bien documentée, la situation à la frontière terrestre dans la région nord de la Grèce est quant à elle occultée. 

Zone rendue invisible, les violations massives de droits des personnes migrantes en Grèce continentale sont pourtant présentes.

500 kilomètres de cours d’eau de l’Evros séparent la Grèce de la Turquie sur le continent. Zone interdite d’accès, c’est pourtant un point de passage pour entrer dans l’Union européenne. Véritable no man’s land, c’est une frontière ultra-militarisée sous le contrôle d’une centaine de militaires de l’armée grecque : murs de barbelés, canons sonores, drones et caméras ont été mis en place.

Aucun mécanisme de surveillance de cette frontière n’ayant été mis en place, tout ce qui s’y passe est opaque. Et pourtant, selon plusieurs associations, les droits fondamentaux des demandeurs d’asile y sont complétement bafoués, les autorités grecques pratiquant des milliers de pushbacks, et de nombreuses personnes ayant été portées disparues en tentant la traversée.

Pushbacks, violences, disparitions : que se passe-t-il réellement à cette frontière ? Sans accès à cette zone, il est impossible de répondre à cette question. Il serait pourtant du devoir et de la responsabilité de l’Europe de faire la lumière sur la situation le long du fleuve Evros.

Le Nord de la Grèce n’est pas non plus épargné par la politique d’enfermement des migrants. La région compte 15 camps de réfugiés, de nombreux hébergements urbains et camps informels et pour autant, souffre d’une pénurie structurelle de services juridiques à destination des exilés.

L’association Equal Legal Aid (ELA), au sein de laquelle je suis accueillie, a pour objectifs d’améliorer l’accès au droit et faciliter l’accès à l’assistance d’un avocat pour les exilés présents en Grèce du nord. Avec l’appui de professionnels du droit, internationaux et nationaux, formés aux problématiques juridiques rencontrées en Grèce continentale, l’association ELA organise des consultations individuelles, des maraudes et permanences juridiques autour de Thessalonique.

Ayant l’opportunité de prendre part à l’action de ELA, ma première permanence juridique a eu lieu à proximité du camp de Diavata, à 15 km de Thessalonique.

La politique d’enfermement et de mise à l’écart des demandeurs d’asile est parfaitement incarnée par le camp de Diavata. Et pour cause, en quelques semaines, les autorités ont construit un mur autour du camp. La construction a pris fin récemment. Ce phénomène d’enfermement prend de l’ampleur depuis quelques temps où des murs sont en construction autour de différents camps en Grèce continentale.

Mur entourant dorénavant le camp de Diavata, vu de l’intérieur (Copyright : regisdefurnaux.com)
Mur entourant dorénavant le camp de Diavata, vu de l’extérieur (Copyright : regisdefurnaux.com)

Après seulement quelques jours en Grèce continentale, ce que j’avais lu avant mon départ sur la situation en Grèce se confirme : nous sommes face à une violation des droits de l’Homme totale dont la Grèce et l’Union européenne sont responsables.

[1] https://www.infomigrants.net/fr/post/35361/grece–la-politique-de-la-porte-fermee

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