Κύπρος – Chypre

Drapeau chypriote.

Cette journée est passée si vite.
J’ai quitté Paris aux environs de midi. Maintenant la nuit est tombée, il est 20h et me voilà à l’aéroport international de Larnaca, à Chypre. Carte d’identité à la main, les portes s’ouvrent facilement. Chaque contrôle est une simple formalité, pas de regards suspicieux, pas de questions. Je ressemble à un touriste. Je saute dans la navette reliant l’aéroport à la capitale chypriote, Nicosie (Lefkosía).

Pendant le trajet, au milieu de la noirceur des collines environnantes, une lumière attire mon attention. D’abord une petite étoile, seule dans l’obscurité. Puis comme pour l’accompagner, ce qui ressemble à une lune, ou plutôt à un croissant, s’illumine à sa gauche. Je commence à comprendre. Un cadre vient enserrer les deux et confirme mes pensées : c’est un drapeau turc. Il brille fièrement dans la nuit et semble défier cette partie de l’île où je m’apprête à vivre pendant les cinq prochains mois.

Il me rappelle que derrière la beauté de ce petit morceau de terre aux confins de la Méditerranée, se cache une histoire complexe.

Troisième île méditerranéenne en terme de superficie, Chypre est à la croisée des cultures et des continents. Entre Orient et Occident, entre Afrique, Asie et Europe le pays est un carrefour. Limitrophe de la Turquie, de la Syrie, du Liban, de l’Égypte, d’Israël et de la Grèce c’est aussi une frontière extérieure de l’Union européenne (UE).

Le pays obtient son indépendance du Royaume-Uni en 1960. La conduite à gauche et la présence de deux bases militaires dans la partie sud de l’île rappellent la période coloniale (cf. Carte). En 1967, le coup d’État dit « des colonels » a lieu en Grèce. Il débouche sur l’instauration d’une dictature militaire qui durera jusqu’en 1974. Cette même année, un groupe lié à la junte grecque s’empare du pouvoir à Chypre, chassant le président élu depuis l’indépendance Mikhaíl Khristodoúlou Moúskos. En réponse au coup d’État et dans le but de protéger la communauté chypriote-turque, la Turquie envahit le nord de l’île en août 1974. Depuis cette date et malgré le rétablissement d’un pouvoir démocratique, le nord de l’île est toujours occupé. En 1983, la République turque de Chypre nord (RTCN) est proclamée. Cet État de facto est exclusivement reconnu par la Turquie et représente 36% de l’île.

Carte de Chypre – La RTCN occupe 36% de l’île.

La « Ligne verte » fait aujourd’hui office de frontière entre la RTCN et la République de Chypre (RC) coupant l’île et sa capitale en deux. La RC a rejoint l’UE en 2004 transformant la « Ligne verte » en une frontière extérieure.

Entre 2017 et 2018, le nombre d’arrivées d’exilé·e·s en RC aurait augmenté de 70% (selon les statistiques officielles). Proportionnellement à son nombre d’habitant·e·s, la République de Chypre est l’État de l’UE où le nombre de primo-arrivant·e·s est le plus élevé (environ 4% de la population). Certain·e·s exilé·e·s rejoignent la RTCN et tentent ensuite de traverser la zone de démarcation. D’autres cherchent directement à atteindre les côtes chypriotes. En réponse l’État a développé une politique anti-migrant·e·s agressive. Pour l’année 2020, le Haut-commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (UNHCR) a reconnu l’existence de 17 cas de push-backs d’exilé·e·s depuis Chypre vers le Liban. Récemment ces pratiques ont pris une nouvelle dimension puisque les personnes sont victimes d’une chaîne de refoulements aboutissant généralement en Syrie (8 cas ont été reconnus par l’UNHCR cette année).  La liste des accords internationaux violés par l’État chypriote est donc longue :
– Convention de Genève de 1951,
– législation européenne sur l’asile,
– Convention européenne des Droits de l’Homme,
– Convention des Nations-Unies contre la torture et les peines ou traitement inhumains ou dégradants…

Les exilé·e·s qui réussissent à échapper aux refoulements, n’ont pourtant pas fini de voir leurs droits élémentaires bafoués. Après avoir effectué une demande d’asile, certaines personnes peuvent être forcées d’attendre jusqu’à 3 ans pour recevoir une réponse quasi-systématiquement négative. Entre temps, les personnes peuvent être arrêtées, renvoyées ou victimes de violences en tout genre. En 2018, sur les 7.700 dossiers déposés par des exilé·e·s syrien·ne·s, seulement 2% ont reçu une réponse favorable.

En 1998, afin de lutter pour la défense des droits des exilé·e·s, l’ONG Kisa a été fondée. Ses membres luttent contre le racisme et la xénophobie tout en prônant une société inclusive et multiculturelle. Pour ses engagements en faveur de l’égalité et de la défense des droits humains, Kisa subit les attaques violentes et régulières de l’État chypriote.

C’est dans ce cadre que je suis envoyé par le réseau euro-africain Migreurop à Chypre. Ma mission vise à soutenir leurs actions tout en récoltant des données, afin de participer à la documentation et à la dénonciation des politiques migratoires chypriote et européenne.

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