1er juillet au Québec : lumière sur les ravages de la spéculation immobilière

Chaque année, au FRAPRU, à l’approche du 1er juillet, c’est branle-bas de combat.

Le 1er juillet, au Canada, c’est la fête nationale. Mais le 1er juillet, au Québec, c’est aussi la journée officielle de fin des baux locatifs. Autant dire qu’ici, pas grand monde ne se préoccupe d’agiter le drapeau à la feuille d’érable à se fenêtre, trop occupé.e.s à leur Tetris de cartons dans les camions et à élaborer un plan pour acheminer le frigo jusqu’au sommet des fameux escaliers en colimaçon. Mais pour certain.e.s, une fois les meubles descendus sur le trottoir, la question du moyen de les remonter est un luxe. À une semaine du 1er juillet, au Québec, environ 300 ménages n’avaient aucune solution de relogement pour le jour fatidique.

Dans les jours qui précèdent et suivent le 1er juillet, les rues se remplissent des meubles et objets abandonnés

Ici, les baux ont tous une durée d’une année renouvelable tacitement. À l’approche de la date anniversaire du bail, nombre de locataires signalent à leur propriétaire leur désir de ne pas le renouveler, bien souvent par nécessité et non par caprice. Insalubrité, exiguïté, prix du loyer, localisation, etc. sont autant de raisons d’espérer un nouveau logement.

Mais dans plusieurs villes du Québec (dont Montréal et des villes voisines, Gatineau et certaines municipalités de l’Abitibi-Témiscamingue), on fait face à une pénurie de logements. Le taux d’inoccupation à Montréal est aujourd’hui de 1.9%, 0.8% pour les logements familiaux (de trois chambres et plus). À Gatineau, ville frappée par une série de tornades et d’inondations dans les dernières années, ce taux global est de 0.7%.  La Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) fixe le seuil d’équilibre à 3%. En-deçà, il y a plus de demande que d’offre et c’est la porte ouverte à une multitude d’abus de la part de propriétaires peu scrupuleux : augmentation des loyers et discriminations en tous genres à l’encontre des personnes racisées, des ménages pauvres et même des familles !

Le quartier de Griffintown (Montréal), symbole d’un développement immobilier abandonné aux mains des promoteurs

Toujours à Montréal, près de 100 000 ménages éprouvent des « besoins impérieux de logement » c’est-à-dire qu’ils occupent un logement en mauvais état, trop petit ou trop cher pour leurs moyens (le seuil d’abordabilité est fixé à 30% du revenu du ménage). Normal, dans ces conditions, d’espérer mieux. Mais le problème, c’est qu’une majorité de locataires ignoraient la pénurie et se sont mis dans des situations délicates en rompant leurs baux sans solution de relogement. A ceux-là s’ajoutent les ménages victimes de la spéculation immobilière qui incite les propriétaires à reprendre leurs logements dans l’espoir de les relouer bien plus chers après rénovations ou bien d’en tirer plus de profit en les plaçant sur des plateformes de location touristique comme Airbnb.

Et le FRAPRU dans tout ça ?

Profitant de sa notoriété et encouragé par ses membres, le FRAPRU donne l’alerte. Interviews, conférences de presse, communiqués, etc. tous les moyens sont bons pour élever le problème sur la place publique et mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités. L’enjeu, c’est d’obtenir de l’aide concrète et immédiate pour les ménages concernés ainsi que le déblocage de fonds provinciaux pour subventionner les loyers de ces mêmes locataires. Parce qu’en contexte de pénurie, il manque des logements mais il manque surtout des logements abordables et une des solutions est de subventionner une partie des loyers pour que l’effort des ménages ne dépasse pas 25% de leurs revenus. À long terme, la meilleure solution reste la construction de logements sociaux.

Conférence de presse du FRAPRU, le 2 juillet 2019

Mais interpeler les politiques relève du jeu d’équilibriste. Si l’on présente devant les médias la « mauvaise personne », le « mauvais locataire », non seulement cette personne-là risque d’en payer les conséquences mais aussi, la crédibilité du FRAPRU sera ébranlée. Dans le cas contraire, divulguer des témoignages dans les médias peut s’avérer un véritable tremplin pour des ménages dont l’histoire parvient parfois jusqu’au cœur d’un propriétaire moins cupide.

En parallèle, le FRAPRU « négocie » avec les Offices municipaux d’habitation (OMH) des différentes municipalités mais essentiellement celui de Montréal. Les OMH sont en charge du parc de HLM de la ville (dont plus aucun ne s’est construit au Québec depuis le retrait du gouvernement fédéral en 1994) ainsi que de la distribution des aides au loyer mentionnées précédemment. Autour du 1er juillet, les ménages en difficulté sont systématiquement orientés vers les OMH afin d’y déposer une demande de HLM et/ou d’obtenir une aide d’urgence pour éviter la rue. Un mot de travers et c’est tout le processus qui s’interrompt. Logement perdu le 29 juin ou le 2 juillet et non le 1er ? Pas admissible. Un plan B pour se loger le 1er au soir ? Pas admissible. Un historique de mauvais paiement de loyers ? Pas admissible. Là, au moins, avoir des enfants est un avantage.

Militante lors d’une manifestation du FRAPRU, le 15 septembre 2019

Avec le temps, le FRAPRU a développé une certaine expertise dans la gestion de ce type de crise, mais là, clairement, personne n’était préparé à ça. Le mépris des politiques qui préfèrent se disputer sur l’utilisation du mot « crise » ou non plutôt que prendre le problème à bras le corps. Les pirouettes qu’il faut enchaîner pour obtenir les miettes de pain de l’OMH. Puis ces familles – ces mères de famille souvent – qui, à la veille 1er juillet ne savent pas dire à leurs enfants où ils vont coucher le lendemain et qui s’entendent dire par l’office de rappeler le jour même. A Gatineau, le comité logement local a même dû piocher dans ses réserves pour loger à l’hôtel des ménages qui avaient simplement été oubliés.

Aujourd’hui, 15 septembre 2019, encore cinq familles à Montréal n’ont pas de logement.

Rien ne laisse présager que les choses se passeront mieux dans un an. Si, avec toute l’agitation soulevée, notamment grâce au FRAPRU, la majorité des ménages a pu trouver une solution pérenne, il ne faut pas oublier que la spéculation immobilière continue de faire rage à Montréal, et dans bien d’autres métropoles à travers le monde. Chaque jour, des locataires se battent contre des promoteurs voraces que rien n’arrête : c’est David contre Goliath. Il y a quelques jours, un groupe de locataires de Verdun, un arrondissement de Montréal, alertait les médias sur les pratiques d’un holding immobilier, LS Capital, qui se vante d’être expert en éviction des locataires et capable de faire « monter les logements à leur pleine valeur », entendre le maximum d’argent que l’on peut tirer de quatre murs et un toit.

Manifestation des groupes montréalais du FRAPRU, le 15 septembre 2019

La lutte continue !

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