Quand on découvre le chant des rossignols et le courage de deux femmes

Cher blog, chères lectrices, chers lecteurs, Lorna, Cécile, les filles,

nous voilà maintenant (et depuis quelques temps déjà, il faut bien l’avouer, mon extrême lenteur et procrastination ont encore frappé…) toutes embarquées dans diverses luttes, diverses rencontres, cultures et aventures.
Comme des fenêtres ouvertes sur nos cœurs, nous avons échangé il y a quelques semaines, les vues de nos chambres. Je vous aurais bien envoyé celle de mon premier Week-end début mai, au sein de la coopérative Longo Maï de Saint Martin de Crau. Elle aurait, aussi, je crois parfaitement collé à l’un des deux thèmes photo du mois : « expérience ». (en espérant que l’on parvienne à être enfin plus assidu pour le mois de juillet…)


Car voilà, je peux à présent me targuer d’avoir vu s’envoler la fenêtre de ma chambre. Il parait qu’on appelle ça « le triomphe de l’effet soufflé du Mistral ». Mais dire que je l’ai vu relève en réalité d’une confusion de mes sens. Je l’ai senti. Et entendu. Je découvre donc ce que ça peut impliquer d’avoir une fenêtre en toile de tente. L’écho avec la situation d’hébergement de certains travailleurs étrangers saisonniers sera brutal.

J’ai eu la chance de démarrer la mission et de découvrir la problématique en étant accueillie par le collectif du Mas de Granier (aka Longo Maï). Ici, on déjeune à l’ombre des platanes centenaires – quand le mistral nous l’autorise (je vous promets quelques photos lorsque j’y retourne) et certains décident de dormir dans un ancien poulailler. 

Robin et son poulailler

Je découvre, au fil des discussions et des lectures, des pans de l’histoire engagée et humaniste de ce lieu. Ici, on choisit de faire des relations humaines la pierre angulaire du quotidien. C’est un véritable ilot de survie au milieu des serres de tomates hors sol et des rangées d’arbres fruitiers à perte de vue. Le soir, des détonations sourdes viennent parfois troubler la tranquillité du lieu. Il paraitrait que ce sont des coups de canons destinés aux oiseaux jugés un peu trop gourmands en cerises. Finalement, pas grand chose à côté des canons anti-grêle.

Il y a quelques années donc, le CODETRAS (des militants de diverses associations, des travailleurs.euses sociaux.ales, des juristes, des avocat.e.s, des chercheur.e.s,) a permis à plusieurs centaines de travailleurs.euses marocain.e.s de retrouver leur dignité, après avoir été réduits pendant de longues années, voir toute leur vie, à des forces ramasseuses de fruits et de légumes. Indésirables sur le sol français ailleurs que dans les plantations ou là où on peut avoir besoin de quelqu’un de corvéable.
Heureusement, l’Etat français a finalement bien voulu entendre la lutte acharnée de quelques-uns et quelques-unes. L’Etat français a bien voulu accepter que les efforts, pour notre économie, pour notre richesse, pouvait faire de ces hommes et de ces femmes des bénéficiaires de la protection sociale. Et qu’on pouvait leur laisser le choix de rester et de profiter d’un peu de repos dans nos contrées. Ouf, la terre française n’est pas encore devenue une gigantesque usine à ciel ouvert, près de laquelle il faut dormir, sauf bien sûr lorsqu’on ne lui est plus utile quatre mois par an, forçant les ouvriers à regagner les terres d’origines.

Je m’interroge alors… Jusqu’où devra-t-on « marchandiser » l’être humain pour parvenir à cette dystopie productiviste ?

Il serait bon de poser la question à nos décideurs européens, dont peu tentent de lutter contre cette vaste organisation de mise en concurrence des travailleurs et travailleuses. Pour ceux qui ont le malheur d’être employé par une entreprise de travail temporaire étrangère peu scrupuleuse comme Laboral Terra ou Terra Fecundis, il faudra accepter les heures à rallonge, avaler sa douleur, les doigts blessés par la coupe des salades, et oublier l’envie – ou le besoin – de souffler quelques instants. Ces témoignages, dont nous font part Yasmine et K. lors des réunions de soutien sont révoltants. Je suis secouée par leur force et leur courage.  


« Je me suis sentie comme un animal » témoignera K. en lutte avec ses larmes et ses traumatismes devant les Prud’hommes à Arles le 16 mai dernier.

Face à ce cri humain, les avocats des entreprises incriminées martèlent que nous ne sommes pas dans ce tribunal pour faire le procès du travail détaché, ni pour « pleurnicher« , pour reprendre les termes de l’un d’eux.
Pour ce qui est du politique, il parait qu’il suffit d’aller voter aux européennes.

Sinon, nous pouvons aussi tenter de réunir nos forces pour trouver les failles juridiques qui permettent d’inscrire la lutte politique ailleurs que dans une urne et de mobiliser l’arme syndicale que peut être le droit.

Peter, ancien de Longo Maï, m’a glissé qu’avec ce procès et la mobilisation qui l’entoure, nous étions peut être à l’orée de nouvelles batailles qui nous mèneront, avec un peu d’espoir, vers un monde plus juste.

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