Taïwan en pleine ébullition : élections et référendum du 24 novembre 2018
Comment, en arrivant à Taïwan quelques jours avant le 24 novembre, ne pas être obnubilé par la question des élections ? Les affiches des candidats tapissent les rues, des mobylettes aux couleurs des partis défilent affublées de drapeaux, le son des mégaphones promouvant tel ou tel candidat est devenu un élément de l’environnement sonore. La diversité de ces manifestations est par ailleurs frappante, l’on passe de meetings très branchés en plein Ximending à Taipei, à des groupes soutenant de petits candidats venant faire du démarchage dans les quartiers. En somme, une véritable opération marketing.
Ces élections de maires et de représentants locaux, à un an des présidentielles, sont particulièrement tendues. Au cœur du mandat de Tsai Ing-Wen, la première présidente élue du DPP – Minjindang (民進黨), la population, insatisfaite, semble déjà pencher à nouveau vers le KMT – Guomindang (國民黨), qui a récupéré de nombreuses localités.
En effet, ici, la traditionnelle fracture ne se fait pas -comme pour nous autres français- entre la droite et la gauche, mais sur la question de l’indépendance de Taïwan, se concrétisant en deux partis, l’historique KMT -parti nationaliste ayant fui la Chine pour Taïwan à la victoire des communistes en 1949-, plus proche de la Chine, et le DPP -apparu en 1986 peu avant la fin de la loi martiale-, aujourd’hui pour une indépendance plus franche, et perçu comme plus progressiste. Auparavant, une politique anticommuniste était de rigueur, non sans laisser de traces : la gauche taïwanaise est balbutiante, et ne parvient que lentement à s’imposer sur la scène politique malgré des partis qui émergent. A ce titre, le KMT (bleu) et le DPP (vert) ne sont en aucun cas socialistes.
Quelques candidats hors partis semblent se distinguer et séduire la population, comme le maire de Taipei Ke Wenzhe réélu de justesse le 24 -à 3000 voix près !-. Jouant sur un certain progressisme et une communication qui tend à s’adresser à toutes sortes de publics, il semble avoir conquis un certain nombre de jeunes de Taipei. Lors de l’un de ses meetings, le 15 novembre, le candidat s’est fait attendre longtemps, et a parlé en tout et pour tout 10 minutes pour un évènement de 2h30, appelé « 派对 », littéralement « party » par ses organisateurs… Après coup, son programme politique n’était effectivement pas plus clair. Le meeting jouait sur le divertissement, frôlant l’endoctrinement : passait en boucle, par un chanteur populaire auprès des jeunes, une chanson faisant l’apologie du candidat, surpassant de loin la durée du discours de ce dernier. Ont succédé des moments d’encouragements à grands cris de « Allez Ke P » (加油柯P), Ke P son surnom.
Le marketing a une place très importante lors des élections à Taïwan, et il est par moments difficile de différencier ce qui pourrait s’apparenter à un certain populisme des pratiques promotionnelles normalisées en politique, dues à l’autorisation de la publicité. Evidemment, cela rend encore plus difficile l’émergence de nouveaux acteurs dans le paysage politique, car il faut notamment des fonds conséquents pour assurer sa promotion.
Autre particularité taïwanaise, le système électoral n’ayant pas encore été modernisé, beaucoup de gens sont encore rattachés à leur ville natale et doivent s’y rendre pour voter. C’est pourquoi, dans un souci d’organisation, outre les élections de maires et de représentants, ce 24 novembre, a aussi eu lieu un référendum touchant notamment au domaine de l’environnemental et au mariage homosexuel, constitué de questions dont la formulation n’était pas des plus limpides. Un certain nombre d’électeurs sera découragé par la queue aux bureaux de votes, ou par le déplacement requis.
Les résultats du référendum, arrivés tard dans la soirée ou dans la nuit, ont révélé sur ces deux thèmes un véritable élan conservateur. Bien qu’ils n’aient pas obligatoirement un effet contraignant, le pouvoir exécutif a concernant le mariage gay décidé de s’en inspirer, annonçant dans les heures qui suivirent la future mise en place d’une union spécifique, les « anti-mariage » voulant réserver le « mariage » à proprement parler aux couples hétérosexuels. Les mouvements pour les droits LGBT+ ont immédiatement critiqué cette décision par la référence « separate but equal », faisant écho à la ségrégation aux USA. Pour rappel, la Cour Suprême taïwanaise avait, le 24 mai 2017, autorisé le mariage gay. Le législateur disposait de deux ans pour établir un projet de loi, mais aucune proposition n’avait jusque-là été faite, laissant aux conservateurs le temps d’initier une pétition pour un référendum.
Ces élections nous laissent donc avec de nombreuses interrogations : comment la présidente composera-t-elle avec le succès du KMT, elle qui a, dès le 24 au soir, remis sa démission de la présidence du DPP ? Qu’en sera-t-il des présidentielles de l’année prochaine, qui promettent d’être encore plus tendues ? Tsai Ing-Wen essuiera-t-elle, comme beaucoup le prévoient, un nouvel échec si elle se représente ? Et, avec cette vague conservatrice, quel avenir pour les droits LGBT+ ?