Eclairage historique sur l'exploitation : l'esclavage 


Je suis convaincue qu’il est pertinent de réfléchir au contexte actuel – au phénomène d’exploitation – à l’aune de l’une des plus grandes tragédies de l’histoire en ce qui concerne l’exploitation pure et totale d’êtres humains : l’esclavage. Ce texte de réflexion se base sur le documentaire d’Arte en 4 parties :

  1. Les routes de l’esclavage 1/4 https://vimeo.com/271050648
  2. Les routes de l’esclavage 2/4 https://vimeo.com/269223863
  3. Les routes de l’esclavage 3/4 https://vimeo.com/269223986
  4. Les routes de l’esclavage 4/4 https://vimeo.com/269224190

« C’est l’histoire d’un monde où l’esclavage a dessiné ses territoires et ses propres frontières. Un monde où la violence, la domination et le profit ont imposé leur route. Ce système criminel a façonné notre histoire, et fondé les plus grands empires à travers le monde. » (Les routes de l’esclavage 2/4, 00:00-00:19)
A Sao Tomé – première plateforme de déportation massive d’esclaves – en 1471, on faisait en effet travailler les esclaves jusqu’à 14h par jour dans les plantations sucrières (Les routes de l’esclavage 2/4, 24:45). Cela n’est pas sans rappeler les ouvrier-e-s agricoles, pour la plupart migrant-e-s, travaillant dans l’agriculture aujourd’hui.
Quels étaient/sont les ressorts de cette exploitation à échelle mondiale ?

Création de l’altérité

Un élément relevé au sein du documentaire est le fait que à Bagdad, au 9e siècle (règne des Abbassides), « l’esclave n’avait pas la culture du dominant » (Les routes de l’esclavage 1/4, 11:15). Comme le relève Ibrahima Thioub, la condition de l’esclavage est de construire l’altérité :
« Pour mettre en esclavage un individu, un des phénomènes importants c’est de le construire comme Autre, de construire une altérité. Et sous ce rapport, les sociétés humaines disposent de registres assez larges. On peut utiliser la différence de couleur de peau, la différence de religion. » (Ibrahima Thioub, Les routes de l’Esclavage 1/4, 35:53)
Cela posa d’ailleurs problème lorsque les esclaves commencèrent à adopter la religion des maîtres ; car l’Islam interdit l’esclavage entre musulmans. (Les routes de l’esclavage 1/4, 23:40). Il est en effet difficile d’exploiter son semblable… On alla alors chercher des esclaves toujours plus loin, au sein de terres « infidèles ».

Violence

Or, la simple réduction d’une personne à un statut d’Autre ne parvient pas elle-seule à réduire et maintenir des populations entières dans l’esclavage. Comme le souligne Nicole-Claude Mathieu dans sa réflexion sur la domination masculine, « la violence contre le dominé […] est avant, et partout, et quotidienne, dès que dans l’esprit du dominant le dominé […] n’est plus à sa place. » (Mathieu, 1991, pp.208-209)
En témoigne les écrits datant de cette sombre époque :
« La condition malheureuse du Nègre l’amène naturellement à nous détester. Il n’y a que la force et la violence qui peuvent le retenir. » (Journal de Thomas Thistlewood, Les routes de l’esclavage 3/4, 34:04)
En effet, les exécutions violentes en public étaient régulières, les révoltes ainsi réprimées par intimidation. L’escalade de la violence (assassinats, terreur, torture, etc.) était nécessaire afin de maintenir la domination.

Au service du capitalisme

C’est à ce prix que l’on mange du sucre en Europe (Les routes de l’esclavage 3/4, 37:57)
Les mots de Jean-Pierre Sainton invite à la réflexion :
 « La logique du système esclavagiste c’est la logique d’une disponibilité absolue de la main d’œuvre. La main d’œuvre doit être disponible. […] L’Homme est conçu comme un accessoire, en quelque sorte, de la terre. Il apparait d’ailleurs dans les inventaires des habitations. Les listes apparaissent au même titre que le cheptel. […] C’est un archaïsme qui est mis au service d’un système capitaliste. Et qui répond essentiellement à la demande. Qui répond aux offres du marché. Avec ses fluctuations. Avec ses besoins. Avec ses concurrences. La libre concurrence. » (Jean-Pierre Sainton, Les routes de l’esclavage 3/4, 9:20-50)
Myriam Cottias ajoute que l’esclavage produit de la richesse, richesse que l’Europe juge essentielle. (Les routes de l’esclavage 3/4, 17:15)

Caution d’une institution : le processus de légitimation

Pour que l’exploitation puisse se pérenniser, la légitimation d’institutions reconnues et puissantes joue un rôle clé. Le Pape Nicolas V donna ainsi le cadre légal et la caution morale à l’asservissement de milliers de personnes ; la Bulle Romanus Pontifex spécifia en effet que :
« Nous avons donné la faculté ample et simple au roi Alfonso d’envahir, de rechercher, de capturer, de vaincre et de subjuguer tout Sarrasin et païen et tout autre ennemi du Christ ainsi que de réduire leur personne en esclavage perpétuel. » (Les routes de l’esclavage, 2/4)
Quels sont les processus de légitimation présents de nos jours ?

Intériorisation

Un des ressorts de l’exploitation et de la domination que je souhaite encore relever ici consiste en l’intériorisation des relations de pouvoir :
« L’intérêt du maitre, c’est de faire croire à un individu qu’il est esclave, non pas parce qu’un jour on lui a posé un rapport de force qui est réversible, mais parce que, par sa nature, il est destiné à être un esclave. » (Ibrahima Thioub, Les routes de l’esclavage 1/4, 38:20)