L'Aquarius, personne n'en veut…

629 personnes à bord de l’Aquarius, que l’Italie et Malte refusent catégoriquement d’accueillir, et l’Espagne, par élan d’humanité (ou pour sauver les apparences), se dit prête à les recevoir. Une affaire qui révèle à la fois le climat européen actuel et la position ouvertement anti-immigration du nouveau gouvernement italien.
Rappelons que le nouveau gouvernement italien est fondé sur une coalition entre la Ligue (Lega) et le Mouvement 5 Étoiles (M5S), un parti d’extrême-droite et un parti de centre-droit. Le premier ministre choisi, Giuseppe Conte, est un inconnu, un « nobody ». Le Ministre de l’Intérieur, Salvini, tient un discours clairement xénophobe et anti-immigration. Le gouvernement précédent était déjà à l’origine de nombreux accords plus ou moins officiels passés avec les autorités libyennes ou tunisiennes, pour « arrêter les flux migratoires à la source », « lutter contre l’immigration clandestine » et le trafic d’êtres humains. Des accords dont les conséquences ont été largement dénoncées : torture, esclavage, routes migratoires plus dangereuses, emprisonnement… On ne pouvait donc qu’envisager le pire pour la suite.
Et la dégénération commence déjà à se faire sentir.
L’Aquarius, bateau de l’ONG française SOS Méditerranée au pavillon espagnol, transportant à son bord 629 personnes sauvées à l’occasion des divers naufrages de ces derniers jours, s’est vu refuser l’accès à un port italien. Alors que, rappelons-le, Rome a coordonné les secours dans une zone maritime relevant de sa compétence, donc les migrant.e.s devraient être accueillis en Italie. Selon la Convention européenne sur les droits de l’Homme, et celle d’Hambourg (Search and Rescue -SAR 1978), l’Italie est obligée d’intervenir. Mais le gouvernement a réagi autrement :


Le hashtag est brutal : « Nous fermons les ports ».
Le gouvernement italien a demandé à Malte de s’occuper de l’accueil. Malte a refusé. Et l’on comprend sa position, étant donné que les autorités maltaises ne se sont pas occupées du sauvetage, et que de manière générale, Malte organise des patrouilles avec l’aide de l’Italie dans sa zone de surveillance maritime. L’Etat maltais considère comme non contraignantes les lignes directrices de l’Organisation internationale maritime (Imo, prévoyant l’obligation d’accepter les embarcations qui ont été récupérées dans la zone Sar), et n’a pas non plus ratifié les amendements des Conventions Sar et Solas adoptés en 2014 (l’obligation de fournir un lieu sûr pour les naufragés incombe au gouvernement responsable de la zone Sar où s’est déroulé le naufrage et le sauvetage). Il était donc peu probable que Malte accepte…

Port de Palerme, 11 juin 2018

Dans un élan de soutien à l’Aquarius, de nombreuses villes italiennes, leurs maires respectifs, et la société civile, se sont mobilisés contre la décision du gouvernement. Les manifestations ont fleuri en Italie ce lundi. A Palerme, plus de 1000 personnes se sont rassemblées devant le port, avant de marcher jusqu’au Teatro Massimo, avec des banderoles défendant l’accueil et l’humanité, dans une ambiance festive.

L’Aquarius se retrouve donc à devoir faire un long trajet en mer alors que l’équipage n’a cessé de répéter que la situation à bord est critique.
Le gouvernement français est resté silencieux sur cette affaire jusqu’à maintenant.
Il s’agit clairement d’une violation de différents points du droit international, rappelle Fulvio Vassallo Paleologo (professeur, avocat et expert du droit de l’immigration), « ces personnes ont été secourues en mer il y a quatre jour, et ont sur le corps des signes qui se rapportent à de la torture infligée par les libyens. Ce sont des personnes vulnérables pour lesquelles les conventions internationales imposent un débarquement dans les délais les plus rapides possibles. Pas seulement les conventions du droit de la mer, mais aussi, entre autres, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, que l’Italie et Malte ont signé, ou la Convention de Genève, quant à la possibilité pour une personne de demander l’asile à un pays de la frontière. Retirer la possibilité d’accéder à la frontière pour demander le droit d’asile va à l’encontre de la Convention de Genève pour les réfugiés ».