1er mai : demandez le programme !

Chaque année en Allemagne, le premier mai est une journée de forte mobilisation. Fête du travail pour les uns, lutte contre le capitalisme pour les autres. Fête du nationalisme d’un côté, lutte antifasciste de l’autre. A Berlin, plusieurs mobilisations étaient prévues, il n’y avait plus qu’à choisir ce qu’on voulait faire de sa journée

  • La manifestation des syndicats de travailleurs a traversé Berlin Mitte, pour terminer à Brandenburger Tor, dans le centre de la ville, où se trouvent les institutions politiques du pays. Départ 11 heures, 14 000 personnes comptées en fin d’après midi.
  • L’AFD, parti d’extrême droite, organisait pour la deuxième année consécutive un rassemblement dans un parc dans le quartier de Pankow. Le mouvement antifasciste berlinois AntifaNordost a donc appelé à une contre-manifestation pour bloquer l’accès au parc, initiative qui avait bien fonctionné l’année dernière. Cette année, la police avait permis le bon déroulement de l’évènement en sécurisant les entrées au parc, mais la contre-manifestation a mobilisé quelques centaines de personnes et le meeting a été peu visité, faisant de cette mobilisation un succès.
  • Le III. Weg, microparti néonazi a appelé à un grand rassemblement dans la ville de Chemnitz, en Saxe. Les antifascistes se sont également mobilisés pour une contre-manifestation. Ce sont finalement 500 à 700 néonazis qui ont défilé dans la ville, encadrés par la police.


Moi, j’avais déjà une idée en tête, je voulais aller faire un tour à Kreuzberg. Kreuzberg, c’est le quartier turc de Berlin, hier quartier malfamé réputé pour accueillir les toxicomanes de la ville, aujourd’hui en pleine gentrification. A Kreuzberg a lieu depuis 1987 une manifestation révolutionnaire et illégale. Organisée par les mouvements d’extrême gauche berlinois, cette manifestation débouche régulièrement sur des affrontements plus ou moins musclés avec la police. Illégale car non-déclarée, elle est pourtant largement tolérée par les pouvoirs publics et une institution pour Berlin. Cette année, ses organisateurs ont appelé à se mobiliser pour signifier leur solidarité avec les kurdes de Turquie et de Syrie, avec l’intention explicite de défiler en brandissant le drapeau des Unités de protection du peuple kurde ou YPG/YPJ, et du PKK, alors même que ces drapeaux ont été interdits par la police allemande, par peur d’affrontements.


A Kreuzberg, il y a aussi le Myfest. Fatigué des débordements et de la mauvaise image du quartier véhiculée par le 1er mai, le collectif Myfest organise depuis une quinzaine d’années un évènement festif en collaboration avec des associations et artistes. L’idée était avant tout d’investir la rue tout en évitant les violences urbaines. Pensé d’abord comme une fête familiale mais à revendication politique, le Myfest a gagné en ampleur et souffre aujourd’hui de son succès. Il est d’ailleurs montré du doigt par les militants, qui dénoncent son côté « party techno » dénué de revendications politiques ou sociales. Les deux évènements ont lieu au même endroit, et se croisent plus ou moins pacifiquement chaque année.


Il est 18h30 quand je sors de la bouche de la station de métro Moritzplatz qui donne sur Oranienplatz. La manifestation interdite est déjà partie, il n’y a aucune trace d’un rassemblement politique. J’avance dans la rue, croisant une foule de badauds plus ou moins éméchés. Partout, de la musique et des rires. Ca ressemble plus à la fête de la musique qu’à la fête du travail. Avec mes amis, on se dit qu’on va faire un tour dans Kreuzberg. On croise plusieurs scènes plus ou moins improvisées, là du rap allemand, là un groupe de pop rock, là de la musique turque. Mais partout, une présence policière impressionnante, des camions, des hommes et femmes suréquipés, et au dessus de nous un hélicoptère. La soirée avance et la nuit tombe, l’ambiance survoltée donne une impression pesante, comme si tout pouvait dégénérer à tout instant. Mal à l’aise, je me replie chez une amie d’amis. Justement, elle reçoit chez elle une française, Marie Béduneau, qui propose de nous jouer un monologue d’une heure qu’elle a écrit sur son expérience à Bure en tant que militante anti-nucléaire. Finalement, ce 1er mai aura eu un accent de luttes, mais pas forcément là où j’aurais pensé le trouver.

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