En Ukraine, l’enlisement dans une guerre de tranchées

Quatre ans après le déclenchement du conflit à l’est de l’Ukraine, l’armée ukrainienne et les séparatistes pro-russes des républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk continuent de s’affronter dans une guerre qui compte déjà plus de 10 000 morts -dont près de 2 700 civils- et 1,6 millions de déplacés internes [1].
 

En rouge, la ligne de front à l’est où s’affrontent l’armée ukrainienne et les forces séparatistes pro-russes. Source : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

 
Malgré la signature des accords de Minsk qui prévoient un arrêt immédiat des combats, la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine enregistre quotidiennement des violations du cessez-le-feu qui, pour la seule année de 2017, s’élèvent à plus de 400 000. En plus des duels de mortiers et d’artillerie légère, le danger pour les civils vient principalement des engins explosifs abandonnés à proximité des 457 km de la ligne de contact. L’est de l’Ukraine est ainsi devenu l’une des régions au monde les plus contaminées par les mines. Si les combats ont baissé en intensité par rapport aux deux premières années du conflit, les civils restent pris au piège dans la zone grise, à la merci de tirs provenant des deux côtés.
C’est cet enlisement dans une guerre de tranchées que le photoreporter Edouard Elias décrit dans son reportage « A l’Est rien de nouveau » publié récemment dans Polka :
 


 

« De nos jours, on parle de guerre propre, de technologies de pointe… Mais non! Là, ce sont toujours des soldats qui se terrent dans le sol. Cette stratégie militaire est la même qu’il y a cent ans. Je voulais photographier à l’ancienne un conflit nouveau aux racines profondes. » (Edouard Elias, photoreporter[2])

 

Guerre hybride et guerre de l’information

Officiellement, l’Ukraine n’est pas en guerre contre la Russie mais la loi sur la réintégration du Donbass – du nom de cette région industrielle de l’est du pays- adoptée en janvier dernier par le Parlement ukrainien qualifie la situation d’« agression russe » faisant des républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk des « territoires temporairement occupés » au même titre que la Crimée. Ce nouveau label vient remplacer l’« opération anti-terroriste » (ATO) lancée en avril 2014 par les services de sécurité ukrainiens (SBU). Désormais, il revient à l’entière charge de l’armée d’assurer le commandement stratégique des activités militaires dans le Donbass.
Pour ce qui est de sa nature, l’on qualifie souvent le conflit à l’est de l’Ukraine de « guerre hybride » qui allie guerre conventionnelle et irrégulière. En plus de combats dits « classiques » entre belligérants sur le front, l’une des parts essentielles de cette guerre est la bataille de l’opinion qui se traduit par une propagande intense à destination des populations civiles. Pour contrer le discours anti-ukrainien, un Ministère de la politique d’information[3] a par exemple été créé par les autorités de Kiev qui ont également interdit la diffusion sur le territoire d’une dizaine de chaînes télévisées russes. Plusieurs journalistes étrangers ont également été expulsés d’Ukraine et déclarés personae non gratae pour avoir “nui aux intérêts nationaux”. De leur côté, les séparatistes pro-russes du Donbass continuent d’emprisonner illégalement des journalistes indépendants alors que l’est de l’Ukraine et la Crimée sont devenus de véritables « trous noirs » de l’information purgés de tout journalistes et médias critiques.

 

Le rôle de la société civile dans la résolution du conflit

Pour réussir, une guerre hybride nécessite un soutien massif de la population civile or le fantasme de reconstruire la « Novorossia » (« nouvelle Russie ») qui engloberait les territoires ukrainiens « russes » de Kharkiv à Odessa n’a pas pris. Le fait que plus de 40 000 personnes traversent la ligne de front quotidiennement témoigne également du lien qui continue à unir les civils des deux côtés. Lassitude et sentiment de ras-le-bol dominent et beaucoup ne considèrent pas le conflit comme le leur.
C’est dans ce contexte que des initiatives visant à promouvoir une résolution de conflit « par le bas » tentent de voir le jour, à l’image de la plateforme de consolidation de la paix « CivilM+ ». Parmi les membres de cette plateforme figurent l’Assemblée européenne des citoyens (AEC) et le Center for Civil Liberties (CCL) avec qui je vais être basée à Kiev. Le but de CivilM+, et ce sur quoi va se concentrer ma mission, est le renforcement du dialogue russo-ukrainien entre acteurs de la société civile travaillant dans la protection des droits de l’homme, l’action humanitaire et la diffusion de l’information afin de « rétablir le Donbass en région pacifique, intégrée et développée dans une Ukraine démocratique ».
 
 
[1] Office of the United Nations High Commissionner for Human Rights (2017). Report on the Human Rights situation in Ukraine 16 February to 15 May 2017, accessible sur : http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=21730
Le dernier rapport en date du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme sur la situation en Ukraine (16 novembre 2017 – 15 février 2018) est accessible sur : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/ReportUkraineNov2017-Feb2018_EN.pdf
[2] Mignot, E. (27/02/2018). « Edouard Elias : « Je voulais photographier à l’ancienne un conflit nouveau », Polka, n°42, accessible sur : https://www.polkamagazine.com/edouard-elias-je-voulais-photographier-a-lancienne-un-conflit-nouveau/
[3] RSF (2016). La réalité après l’Euromaïdan : la situation des journalistes et des médias en Ukraine, accessible sur : https://rsf.org/sites/default/files/la_situation_des_journalistes_et_des_medias_en_ukraine_-_rsf_2016.pdf