Accueil paysan : quels leviers pour l'aide aux migrants?

Dans un contexte de regain de la réflexion sur le rôle des espaces ruraux, amorcé entre autres par une production grandissante de films sur les paysans[1], j’ai assisté le 4 avril dernier à une réunion du Comité national d’Accueil Paysan, et de son comité départemental d’Ille-et-Vilaine. L’association Accueil Paysan se définit comme étant un regroupement de personnes qui accueillent en milieu rural, qui ne compte pas seulement des agriculteurs, mais aussi des habitants de territoires ruraux. L’association propose des hébergements touristiques, mais a également mis en place un accueil social, qui vise des personnes éprouvant le besoin de se séparer pour un moment de leur entourage habituel.
Un des sujets abordés durant cette réunion a particulièrement attiré mon attention, celui sur la signification attachée au mot de paysan. Plusieurs adhérents évoquaient des appels de personnes qui souhaitaient réserver un hébergement, et soulignaient que le mot revêtait  une dimension péjorative. D’autres adhérents répondaient qu’à travers le nom de leur association, Accueil paysan, il s’agissait précisément de contribuer à redonner au mot une connotation plus positive.
En effet, le mot de paysan, avant de suggérer une activité agricole, désigne au sens littéral « celui qui habite le pays » : il porte ainsi l’importance d’un enracinement, d’une installation durable à une échelle locale. Être paysan, c’est d’abord porter un ancrage dans le territoire, pour contribuer à le rendre vivant, pour l’animer et l’enrichir, et c’est sur cette ligne que se place Accueil paysan.
 

« L’auberge du Pays », à Chauvigné (35), où a eu lieu la rencontre sur le thème de l’accueil des migrants

C’est aussi dans cette volonté de faire vivre le territoire que s’inscrit la dimension politique de l’association, et notamment dans son engagement pour la cause des migrants.
Cette première réunion était ainsi suivie d’une rencontre sur le thème « Accueillir les migrants dans nos campagnes », entre Accueil Paysan et deux associations de soutien aux migrants, Un Toit c’est Un Droit, et le Collectif de la Guerche de Bretagne.
Après une présentation des deux structures, et un rappel sur les différentes procédures administratives auxquelles sont confrontés les migrants, quelques conseils sont donnés sur l’accueil des migrants. Certains témoignent de leur expérience d’accueil. Une intervention insiste sur la nécessité de franchir le pas, malgré la complexité des procédures administratives : « Si l’on attend d’avoir tout compris avant de se lancer, on ne le fait jamais ». Selon plusieurs membres d’Accueil paysan, le plus important, c’est de ne pas rester seul, mais de se mettre en contact avec les différentes associations qui accompagnent cet accueil.
 
Sur les différents moyens d’apporter son soutien aux migrants, une intervenante de l’association Un Toit C’est Un Droit souligne à quel point la promesse d’embauche peut constituer un élément qui facilite l’obtention de papiers, et en appelle aux paysans pour les embaucher.
D’après ce que j’ai pu constater durant ma mission, la promesse d’embauche comporte pourtant des limites : la première tient d’abord au fait que dans le secteur agricole, l’embauche se fait fréquemment de manière temporelle, par rapport à la saison, ce qui n’est pas compatible avec les 35 heures que doit comporter la promesse d’embauche.
La deuxième limite est celle des conditions de travail en elles-mêmes. Sur le principe, la promesse d’emploi est conditionnée par la nécessité de montrer que le recrutement fait face à une « pénurie de main-d’œuvre » : en d’autres termes, l’employeur doit passer une annonce à Pôle emploi, et prouver ensuite qu’il n’a pas reçu de réponse pour cette offre d’emploi. Il sera alors autorisé à recruter dans le contexte de « pénurie de main-d’œuvre ». Seulement, si personne n’accepte de travailler dans un secteur caractérisé comme tel, c’est généralement parce que les conditions de travail y sont très difficiles : c’est l’exemple que m’a donné un délégué syndical de la CGT : « Maintenant les jeunes ne veulent plus travailler dans les abattoirs [qui sont un secteur en « pénurie de main-d’œuvre »], ils préfèrent travailler comme caissier, dans les deux cas ils sont payés au SMIC mais ils ne se détruisent pas la santé ». Ainsi, les promesses d’embauche sont aussi la promesse d’un emploi aux conditions de travail très dures et pénibles, dans un secteur déserté par les travailleurs locaux.
Sur la question de l’accueil des migrants, l’emploi peut donc être envisagé comme un moyen d’améliorer leur situation, dans la mesure où il permet d’obtenir des papiers. A quel prix cependant ?


[1] « Le temps des paysans », Jean-Michel Dumay, Le Monde Diplomatique, avril 2018  https://www.monde-diplomatique.fr/2018/04/DUMAY/58550