Migrations, travail saisonnier & luttes pour les droits : quels ressorts des mobilisations ?
Dans le cadre du programme international « Agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers » initié par la Confédération paysanne, des violations des droits ainsi que l’exploitation des exilé-e-s travaillant dans le domaine agricole ont été largement documentées. Ces pratiques sont d’une part encouragées par la transformation des modèles de production désormais basés presque uniquement sur la compétitivité et la productivité ; et sont d’autre part rendues possibles car les politiques migratoires européennes marginalisent et précarisent les personnes exilées – notamment celles qui n’accèdent pas à des papiers. La Confédération paysanne souhaite alors se pencher sur les questions liées aux luttes pour les droits et aux mobilisations des personnes concernées par ces violations, et explorer les dynamiques des luttes collectives à différentes échelles (locale, nationale, internationale) . Comment identifier les ressorts des mobilisations ? Quels impacts les lieux autogérés tel que L’AMAR (Lieu Autogéré Multiculturel d’Accueil et de Rencontres) peuvent-ils avoir dans le contexte urbain de Neuchâtel (Suisse) ? Et en quoi cela peut-il être inspirant et d’une portée heuristique en ce qui concerne le contexte du travail agricole saisonnier ?
Regards croisés sur les politiques agricoles et migratoires
Le contexte actuel – incarné par la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union Européenne – est caractérisé par un modèle agricole basé sur la concentration des bassins de production et l’industrialisation de l’agriculture ; ayant pour objectif central la compétitivité et la productivité. Ceci engendre une paupérisation croissante des travailleurs de la terre ainsi qu’une disparition progressive de la petite paysannerie. C’est dans ce contexte que la Confédération paysanne lutte pour une agriculture paysanne respectueuse des droits humains et de l’environnement.
Comme souligné plus haut, dans le cadre du programme « Agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers », des volontaires ont été envoyé-e-s par la Confédération paysanne depuis 2006 dans plusieurs pays européens et méditerranéens, menant des enquêtes de terrain et récoltant des témoignages de travailleurs-euses migrant-e-s saisonniers-ères. Si les contextes varient, diverses pratiques et situations d’atteintes aux droits de ces travailleurs-euses ont été documentées : condition d’hébergement et de travail extrêmement précaires, surexploitation, faux contrats, etc.
En parallèle, les politiques migratoires actuelles tendent à devenir encore davantage restrictives : on assiste à une fermeture des frontières le long de nombreux lieux de passage, ainsi qu’à une stratégie d’externalisation visant à ce que le contrôle et la gestion des frontières s’effectuent à l’extérieur de la zone Schengen (dans les pays de transit ou de départ) – engendrant de ce fait la création de routes encore plus dangereuses et meurtrières. En outre, en Europe, les déportations des exilé-e-s vers leur pays de départ/transit ainsi que des dubliné-e-s vers les pays où ils ont laissé leur fingerprints sont définies et présentées comme des « solutions durables ». Ces politiques de non-accueil créent des zones de non-droit, facilitant alors toutes sortes de formes d’exploitation.
Transversalité des thématiques et enjeu de la mission
Ainsi, la transversalité de ces développements des politiques agricoles et migratoires réside dans la précarisation qu’ils induisent, notamment au niveau de populations déjà marginalisées (statuts précaires/pas de statut ; ressources financières extrêmement limitées ; etc.) et dont le respect des droits est régulièrement bafoué.
C’est au sein de ce contexte que la Confédération paysanne mène une réflexion sur les ressorts des mobilisations pour le respect des droits des travailleurs-euses migrant-e-s saisonniers-ères. Ce questionnement s’inscrit notamment dans la continuité de l’expérience de la Confédération paysanne de la Drôme, qui a organisé des rencontres portant sur cette thématique, réunissant autour de la même table des syndicats de défense des travailleurs-euses et des associations de solidarité avec les personnes exilées. La question s’est alors posée du rôle que peuvent avoir des espaces autogérés en ce qui concerne la diffusion d’informations sur les possibilités de défendre le respect de ses droits – et ce particulièrement dans une situation de précarité à diverses échelles (statut légal, dépendance financière de l’employeur, etc.).
L’enquête de terrain que je vais mener à L’AMAR (Neuchâtel – Suisse) vise ainsi à réfléchir sur les ressorts des mobilisations et à documenter le fonctionnement d’un collectif citoyen qui constitue un lieu de passage de personnes exilées (travailleuses de la terre ou non), et qui se veut un espace autogéré d’accès à de l’information, de lutte pour les droits, et de mise en réseaux.
La Confédération paysanne
La Confédération paysanne est un syndicat agricole, membre de la Via Campesina. Elle promeut une agriculture paysanne et se bat pour le respect des droits des travailleurs-euses de la terre, ainsi que pour des conditions de vie dignes pour ces derniers-ères. Elle s’est notamment hautement mobilisée sur les questions foncières et d’accaparement des terres, des salaires des paysans, d’industrialisation de l’agriculture, des quotas de production et des OGMs. En outre, la Confédération paysanne défend une conditionnalité sociale et environnementale des politiques agricoles – notamment de la PAC (politique agricole commune de l’Union Européenne).
L’AMAR
L’AMAR – Lieu Autogéré Multiculturel d’Accueil et de Rencontres – vise à répondre à un contexte de précarité sociale et culturelle en proposant aux personnes exilé-e-s et aux autres habitant-e-s de la ville de Neuchâtel (en Suisse) des opportunités d’organisation et d’action culturelle. Avec l’objectif de permettre à toutes et à tous de partager connaissances et savoir-faire, en se rencontrant au sein d’un espace où les compétences de chacun-e sont valorisées indépendamment des origines sociales et culturelle, l’AMAR constitue un lieu de mise à disposition de moyens nécessaires à l’autogestion.
Comme relevé plus haut, compte tenu du contexte politique actuel, le processus de migration tend à induire des effets de précarisation. En outre, les personnes concernées se retrouvent au sein d’un environnement dont elles ne maîtrisent pas encore forcément la langue, les codes, les lois. Construire son réseau social dans un tel cadre peut alors être réellement utile afin de partager des informations, qui à leur tour favorisent un accès aux droits et/ou aux opportunités diverses.
Les espaces tels que L’AMAR peuvent-ils ainsi constituer des tremplins vers des mobilisations – amenant des êtres humains aux divers parcours (exilé-e-s ou non) à se rencontrer et à repenser l’espace politique et social au sein duquel ils-elles évoluent ainsi que leur rôle (transformatif !) au sein de ce dernier ?