L'Allemagne est-elle le pays d'accueil qu'on imagine ?
2015 a été considérée comme une année charnière dans le contexte migratoire européen avec une augmentation des arrivées aux portes de l’Europe, et la nécessité d’adaptation des politiques d’accueil. Cette année là, l’Allemagne est le pays qui a accordé une protection au plus grand nombre de personnes, soit 890.000 demandeurs d’asile, un record dans l’histoire du pays. Depuis, c’est toujours le pays européen accordant le plus le statut de réfugié.e, mais aussi celui qui expulse le plus. En effet, le pays a adopté des lois restreignant de plus en plus le droit d’asile et criminalisant les exilé.e.s, alors même que les mouvements d’extrême droite prennent de l’ampleur.
Un renforcement progressif des mesures coercitives dans un contexte politique tendu
En 2015, Angela Merkel, chef du gouvernement au pouvoir depuis 2005, est alors à la tête d’une coalition entre son parti, le conservateur CDU, le parti social-démocrate SPD, et les Verts. Cette grande entente sociale-démocrate fait face à la division croissante de l’opinion publique sur la question de l’asile. Une nouvelle loi, votée en aout 2015, aboutit à l’ajout de trois pays des Balkans (Albanie, Montenegro et Kosovo) sur la liste des Etats considérés comme « sûrs », et à l’accélération des procédures d’expulsion pour les demandeurs déboutés. Peter Altmeier, alors coordinateur du gouvernement sur la question des migrants, cherche également à créer des centres spéciaux aux frontières – appelés «zones de transit» – pour expulser plus rapidement les migrants ne remplissant pas les conditions du statut de réfugié en Allemagne, comme les migrants dits économiques.
Puis en 2016 une nouvelle loi pousse le compromis accueil/répression encore plus loin.
avec pour objectif d’accroître le nombre d’expulsions. La procédure de demande d’asile est accélérée : la majorité des demandes est alors traitée en moins de deux mois, permettant l’expulsion immédiate des demandeurs d’asile n’ayant pas obtenu de statut de protection. Une carte de séjour est attribuée en priorité aux réfugiés qui démontrent une « volonté explicite » d’apprendre l’allemand. Le contrôle de l’immigration est renforcé sous prétexte du manque de structures d’hébergement, et les motifs de détention des demandeurs d’asile sont élargis. Ces mesures répressives s’inscrivent dans un contexte politique tendu : les élections régionales approchent et la menace d’une victoire de l’extrême droite pèse sur les partis au pouvoir. L’Afd, parti d’extrême droite fondé en 2013, s’il ne remporte pas de poste majeur, se positionnera à l’occasion du scrutin comme l’une des forces politiques majeures du pays.
L’année dernière, l’Allemagne accueillait 187.000 demandeurs d’asile, un chiffre en constante baisse, mais qui reste selon Berlin « trop élevé » par rapport aux autres pays européens. Pour accélérer l’expulsion des sans-papiers, les autorités allemandes optent pour une solution plus radicale. Des « centres d’expulsion » sont mis en place pour accélérer le renvoi des demandeurs d’asile déboutés. Depuis le 18 mai 2017, les autorités peuvent également procéder plus facilement à l’éloignement forcé des demandeurs d’asile rejetés, notamment lorsque ceux-ci ont fait de fausses déclarations dans leur demande d’asile. Par ailleurs, les conditions de vie pour les demandeurs d’asile se dégradent. En mai 2017, un tribunal allemand décide que tout demandeur d’asile rejeté n’ayant pas fourni de preuve de son identité n’obtiendrait que le strict minimum des prestations sociales et aucun argent liquide.
L’externalisation ou le déplacement du tri des migrants loin des regards
Sur cette même période, l’Allemagne développe sa politique d’externalisation en signant des accords migratoires avec des pays voisins, dans l’optique de délocaliser le traitement des demandes d’asile dans les pays d’origine des personnes migrantes. Dès 2004, l’idée avait été discutée entre l’Allemagne et l’Italie d’une institution européenne chargée d’examiner, hors de l’Europe, les demandes de protection ; en 2015 le ministre de l’intérieur allemand envisage de nouveau la mise en place de camps pour le traitement des demandes d’asile en Afrique du Nord.
Début 2017, encore une fois en lien avec l’Italie, des pressions sont exercées sur la Tunisie afin de délocaliser dans ce pays le traitement des demandes d’asile. L’Allemagne signe également un accord bilatéral de réadmission avec l’Afghanistan. Depuis, nombre de charters d’expulsions sont partis d’Allemagne pour Kaboul, malgré la forte mobilisation de la société civile.
Par ailleurs, l’Allemagne est à l’initiative de plusieurs accords signés entre l’Union Européenne (UE) et des pays tiers. L’exemple le plus emblématique est l’accord signé en mars 2016 entre l’UE et la Turquie. Cet accord verrouille les frontières de l’Europe en laissant à Ankara le soin de renvoyer toutes les personnes en migration arrivées en Grèce, y compris les demandeurs d’asile pour qui la Turquie a été considérée comme un pays tiers sûr, et de trier les Syriens admis à entrer dans l’Union européenne. En échange de quoi, il a été promis plus de six milliards d’euros d’aide au développement à la Turquie. Ce modèle d’entente a été reproduit en octobre 2016 entre l’UE et l’Afghanistan, qui ont signé un plan de retour pour des dizaines de milliers d’Afghans présents en Europe.
L’Allemagne a aussi mis en place une sorte de « Plan Marshall » d’aide au développement pour le continent africain début 2017, suivi par le projet du G20 à l’initiative de Mme Merkel « Compact with Africa » en juin 2017. Sous couvert d’investissements massifs, le véritable objectif de l’Allemagne est notamment de faire pression sur les pays africains pour qu’ils renforcent le contrôle des mouvements migratoires sur leur propre territoire.
Positionnement du nouveau gouvernement en faveur d’un durcissement de la politique migratoire
La vie politique allemande a connu un début d’année difficile, avec une vacance au pouvoir qui a duré plus de quatre mois, une première. En mars 2018 Angela Merkel est réélue pour la quatrième fois chancelière de l’Allemagne, après être parvenue laborieusement à une coalition entre le CDU et le SPD. Le nouveau gouvernement a affirmé très vite sa volonté de continuer le durcissement des politiques publiques migratoires. Le nouveau ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, président du parti conservateur bavarois CSU, allié historique du CDU, a déjà promis une politique d’expulsion plus conséquente, teintant régulièrement ses discours d’islamophobie assumée. Angela Merkel, qui avait impulsé la politique d’accueil en 2015, voit aujourd’hui son autorité politique fragilisée par l’aile droite de son propre parti et du CSU, qui souhaitent récupérer les électeurs de l’AfD. Si l’Allemagne est déchirée par des débats internes, la volonté de Mme Merkel est néanmoins de conserver son impact décisionnel au sein des instances européennes. Les débats continuent à la Commission européenne au sujet de la politique des quotas d’accueil de réfugiés par pays, chère à l’Allemagne mais qui n’est pas défendue par Donald Tusk, son président. La question devrait être abordée à l’occasion du G7 en juin prochain.