Violences policières en Birmanie, levons le voile.

Yangon, le 18 janvier 2018, Than Toe Aung rentre chez lui. Ce soir là, aux alentours de 23h, Than Toe Aung sera victime de violences policières. Célèbre activiste de Yangon et ancien étudiant de la « Yangon School Political Science », il se décrit également comme étant un ancien « Youth Leader ». Il est de confession musulmane.
Voici les faits : Than Toe Anung marche tranquillement dans les rues de Yangon quand soudain, une voiture s’arrête près de lui. Six individus en descendent, se dirigent vers lui et l’interpellent. À première vue, ces individus semblent être des civils. Prenant peur (six contre un, le calcul est vite fait…), il décide de s’enfuir. Les individus lui ordonnent alors de s’arrêter en lui criant dessus. Than Toe Aung court chercher de l’aide, d’abord auprès des passants ; puis dans un hôtel. Personne ne semble vouloir l’aider. La sécurité de l’hôtel décide même de le jeter dehors. Il se fait alors arrêter par les individus en question. Il remarque que l’un d’eux porte une enseigne de police sur son tee-shirt. Les individus lui expliquent alors être de la police et le place en état d’arrestation. Se demandant pour quelles raisons il est arrêté, Than Toe Aung exige plus d’explications aux « policiers » (on apprendra par la suite que seule la moitié sont réellement policiers). Ces derniers décrètent ne pas avoir à se justifier. Dans la voiture l’accompagnant au poste de police, Than Toe Aung se fait tabasser par ces six individus. C’est à ce moment là que Than Toe Aung remarque l’état d’ivresse des individus.
La suite ? Than Toe Aung se retrouve enfermé au poste de police pendant plus de 3 heures jusqu’à ce qu’on lui permette de téléphoner à son père. Ce dernier arrive au poste de police. Nous sommes alors face à un cas classique de corruption : les officiers lui demandent plus de 200 dollars (ce qui est une importante somme pour un birman) en échange de la libération de son fils. Le père accepte de payer la somme exigée. Than Toe Aung se voit alors contraint de signer différents papiers qu’il n’a pas le temps de lire à l’exception d’un : une lettre l’obligeant à reconnaître avoir été trouvé ivre sur la voie publique et troublé l’ordre public par ses cris. Ce type de lettre est souvent utilisé pour permettre à la police de se protéger en cas de plainte. Le jour suivant, Than Toe Aung et son ami activiste Saung Kha se rendent au poste de police pour faire remonter l’incident au chef du département. Après avoir attendu plus d’une semaine et sans aucune réponse des autorités, Than Toe Aung décide de partager son témoignage sur Facebook et dans les médias locaux.

Mais pourquoi Than Toe Aung a-t-il été victime de violence ce soir là ? Est-ce pour sa couleur de peau ? Pour son « physique de musulman » ? Est-ce pour son activisme ? Est-ce une cible prise au hasard par des individus ivres ? La question reste en suspens. « Même si Than Toe Aung n’a pas été arrêté pour le seul fait d’être musulman, il a surement reçu plus de coups qu’en aurait reçu un birman avec le physique d’un bouddhiste » estime Saung Kha. Dans tous les cas il n’est pas acceptable que la police fasse usage d’une telle violence en toute impunité.
 

Ce n’est pas le seul cas de violence policière sur un individu « ressemblant » à un musulman qui soit apparu en Birmanie ces dernières années. Il y a par exemple le cas de Ko Phyu Phway, activiste et membre de l’association « Generation Wave », victime de violences policières au cours de son arrestation lors d’une manifestation étudiante à Lapadan. Selon Ko Naing Oo, membre de l’association CYSH (Center for Youth and Social Harmony), les violences auraient été plus importantes à son égard en raison de sa couleur de peau (ressemblant à la couleur de peau d’un musulman/indien). Le comble est que Ko Phyu Phway est en réalité bouddhiste. Il s’agit d’un des cas de violences policières les plus connus en Birmanie. Mais combien de victimes se taisent ? Combien de cas sont encore inconnus du public ? C’est sont les questions que je me pose. Il ne serait pas surprenant que ces incidents ne soient pas isolés.
Depuis le partage de son témoignage, Than Toe Aung a reçu un large soutien de la communauté activiste. Un groupe d’avocat, dont Maître U Robert San Aung connu pour défendre de nombreux prisonniers politiques, se charge également de son dossier. L’association CYSH et plusieurs associations militantes ( Bamar Watch, Athin Organisation, Yangon Eliminate groupe of the Yangon School Political Science…) soutiennent Than Toe Aung dans ses diverses démarches. Ils souhaitent que l’affaire soit résolue le plus rapidement possible et que les individus soient sanctionnés pour leurs actes. Ils encouragent également les victimes de violences policières à partager leur témoignage afin que les auteurs de ces actes ne restent pas impunis.
Enfin, il convient de ne pas oublier que cette pratique touche l’ensemble du pays et de la population. Les récents évènements peuvent en témoigner puisque le 17 janvier dernier sept manifestants bouddhistes ont été abattus par la police birmane lors d’une émeute à Mrauk U. Il est nécessaire de tous se mobiliser pour que cela cesse. Après tout, le rôle de la police n’est-il pas de protéger sa population ?