Quand il n'y aura plus d'eau à Cape Town : J – 95
« Si l’on continue à ce rythme le « Day Zero » aura lieu le 22 avril 2018. Il nous reste trois mois » ;
C’est en ces termes que s’est exprimée il y a quelques jours Xanthea Limberg, conseillère municipale de Cape Town.
Le « Day Zero », j’en ai entendu parler dès que j’ai posé le pied ici.
Le « Day Zero » ça veut dire : plus d’eau. Plus d’eau utilisable dans les réserves de la ville, plus d’eau dans les robinets, plus d’eau quoi. Quand le « Day Zero » arrivera ici – dans plus ou moins trois mois si rien ne change donc – toute la population de la ville devra se rendre dans un des 200 points de collecte d’eau pour récupérer sa ration quotidienne : 25 litres maximum par personne et par jour (à utiliser à la fois pour l’alimentation mais aussi pour l’hygiène et le nettoyage).
A titre de comparaison, en France (source) :
Une douche de 4 à 5 minutes = 60 à 80 L
Un bain = 150 à 200 L
Une chasse d’eau = 8 à 12 L à chaque utilisation
Lave-vaisselle = 25 à 40 L par lavage
Lave-Linge = 70 à 120 L par lessive
Difficile d’imaginer qu’à quelques dizaines de milliers de kilomètres de là, dans une des capitales les plus riches d’Afrique, on verra bientôt pousser des files d’attente d’une population qui attend de pouvoir boire et se laver.
Comment en est-on arrivé là ?
C’est en mars 2017, soit il y a moins d’un an que la maire de la ville, Patricia de Lille, a alerté la population au sujet de la pénurie d’eau et a déclaré la ville en état de catastrophe. Or cela fait plus de trois ans que la sécheresse sévit ici et que les pluies de juin et de juillet ne sont pas suffisantes pour recharger les réserves d’eau.
Alors pourquoi avoir attendu si longtemps pour demander à la population de revoir drastiquement sa consommation d’eau ?
Parce que Cape Town vit grâce au tourisme, elle est la « vitrine » de l’Afrique du Sud, luxueuse, majestueuse, et elle vise à attirer chaque année de plus en plus d’étranger.e.s. Elle est aussi un pied à terre pour nombre de riches – voire très riches – propriétaires, dont les villas au pied de la Table Mountain ou face à l’océan sont entourées de fils barbelés et protégés par des services armés.
Demander aux touristes donc (et à tous les établissements hôteliers), ou aux millionnaires, de mieux gérer leur consommation, de ne pas remplir leurs piscines, de ne pas entretenir leurs jardins, de ne pas laver leurs voitures, a longtemps été considéré comme inenvisageable par la Mairie. Seulement, en mars 2017, quand les réserves d’eau de la ville sont passées en dessous de la barre des 30% (seule 19,7% de cette eau est réellement jugée propre à la consommation), le secret ne pouvait plus être gardé.
Quelles solutions ?
Donc, en urgence et à la va-vite, on s’est mis à placarder des affiches sur les murs de la ville annonçant le « Day Zero », de jour en jour un peu plus proche, on a mis en place des sanctions pour qui serait vu à faire arroser son jardin, à remplir sa piscine, on a invité les ménages à ne pas utiliser plus de 87 L par jour et par personne, des consignes ont été données pour tenter de réduire la consommation d’eau (prendre des douches de 2 minutes maximum, récupérer l’eau de la douche pour tirer la chasse d’eau, ne pas laisser couler les robinets, utiliser un bac pour faire sa vaisselle, etc), les agences de location sont désormais interdites de laver les voitures, des piscines municipales ont été fermées… Et pour tenter de gagner encore un peu de temps, en parallèle, la ville a lancé la construction en urgence d’usines de dessalement d’eau de mer.
Et le « Day Zero » s’était un peu éloigné (en décembre, on estimait qu’il arriverait fin mai, soit jusqu’à la saison des « pluies »… qui n’en est plus vraiment une).
Mais la saison touristique est arrivée, et avec elle, une surconsommation d’eau qui a fait revenir le « Day Zero » au 22 avril prochain. La Mairie ne souhaitant pas « une politique du blâme » : certaines piscines ont été remplies, on a été un peu moins regardant avec les établissements hôteliers, et les touristes n’ont visiblement pas toujours été très solidaires.
Alors voilà, dans trois mois, peut être un peu plus, peut être un peu moins, Cape Town deviendra la première grande ville du monde à ne plus avoir d’eau.
Et nous devrions tou-te-s nous sentir concerné-e-s.
Car au delà de ne plus avoir de piscines remplies, de voitures lavées, de jardins bien entretenus, c’est toute une population qui ne pourra plus boire ni se laver. Et les premier.e.s concerné.e.s par ce manque d’eau n’auront ni piscine à remplir, ni voiture à laver, ni jardins à entretenir ; nul besoin de rappeler que ces premier.e.s concerné.e.s sont évidemment les plus pauvres, ceux auxquels la Mairie de Cape Town ne semble pas réellement prêter attention. Oui, dans les townships de la ville, déjà, l’eau manque et certains robinets ne coulent plus.
Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui arrivé.e.s. Nous, les humain.e.s.
Aujourd’hui, des villes entières n’ont plus d’eau. Des hommes et des femmes ont soif.
Demain, ils et elles migreront pour cette raison. La quête de l’eau deviendra une quête mondiale, et sans nul doute, une source de conflits majeurs.
Il est donc plus que nécessaire de chercher et de trouver, collectivement, des solutions durables au problème de l’eau et cela passe nécessairement par une remise en cause totale du système capitaliste néolibéral qui crée, face à une société d’opulence et d’abondance, une société de crèves-la-dalle.