Lutte contre l'esclavage en Libye : une question africaine

 

Quelques jours avant mon arrivée en Afrique du Sud, le 18 novembre dernier, la chaîne américaine CNN dévoilait au monde entier des images d’un marché aux esclaves près de Tripoli en Libye.
Ces hommes et femmes viennent pour la plupart de pays d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Gambie, Cameroun, Nigeria) et se retrouvent bloqués en Libye, ce pays qui, aux portes de l’Europe, a été chargé par l’Union Européenne d’empêcher les traversées de la méditerranée… En bref, de garder ses frontières.
J’ai déjà, dans mon précédent travail et ailleurs, entendu nombre de témoignages sur les conditions de vie effroyables des personnes en migration (hommes et femmes) et notamment lors de ce passage en Libye. Nombreuses sont les associations ayant déjà dénoncé ces trafics d’être humains, l’exploitation, l’humiliation, les crimes, les viols, en bref tout ce qui se passe sur la route vers l’Europe Forteresse. Ce ne sont pas les témoignages qui manquent. On sait depuis longtemps qu’avant de mourir dans la méditerranée, ces hommes et femmes vivent déjà l’enfer. La responsabilité des pays européens n’est plus à prouver.
Alors, quand Emmanuel Macron dénonce ce « crime contre l’humanité » (déclaration du 22 novembre 2017) … On a plutôt envie de rire. Ou pleurer.

A mon arrivée ici, cette actualité avait aussi fait beaucoup de bruit. Dans les deux associations que j’ai rencontrées, l’une à Cape Town et l’autre à Johannesburg, on a compris la nécessité de se saisir de ce sujet pour dénoncer les responsabilités des organisations africaines, européennes et internationales et pour organiser des résistances. La question des migrations, ici, est cruciale. Et la lutte contre l’horreur de l’esclavage en Libye soulève de grandes questions nationales.
J’observe notamment que la question du sentiment d’appartenance au continent africain est un véritable enjeu. Dans un pays où les « immigrants » (dont l’énorme majorité est originaire des pays du continent) sont la cible d’une xénophobie galopante et extrêmement violente, comment faire naître un sentiment d’appartenance de tous à un même continent ?
L’un des obstacles à l’émergence de ce sentiment trouve son explication directe dans la construction historique complexe de la nation sud africaine : pendant l’apartheid et après, l’enseignement de « l’Histoire » à l’école passait en grande partie par l’histoire de l’Europe et des conquêtes coloniales des grands empires. Pendant très longtemps, aucun enseignement ne portait ni sur l’histoire ni sur l’actualité du continent dans son ensemble.
Lors de ma participation au Youth Camp à Stellenbosch il y a quelques semaines, à la question « Savez-vous ce qu’il se passe actuellement en Libye ? », un ou deux jeunes ont répondu par l’affirmative. Puis, juste après, à la question « Savez-vous ce qu’il s’est passé il y a deux ans à Paris ? », la grande majorité a levé la main pour parler des attaques terroristes en France. La question donc de l’apprentissage de l’Histoire africaine mais également de l’actualité du continent est une des clés majeures pour comprendre les enjeux de ce pays.

Le mardi 12 décembre, j’ai eu l’occasion de participer à une marche contre l’esclavage en Libye à Pretoria, organisée par African Diaspora Forum, une association d’immigré.e.s originaires de tous les pays du continent luttant pour les droits des migrant.e.s en Afrique du Sud. Dans cette association, le sentiment d’appartenance à une nation africaine est très fort. Tous sont des migrant.e.s, la question de l’esclavage en Libye entraîne donc des réactions extrêmement fortes. Les coupables sont désignés : l’Union Africaine et l’Union Européenne en premier lieu.
Dans la manifestation, les slogans résonnent à l’unisson, tous les drapeaux africains s’agitent dans l’air …

« We are not for sale » (Nous ne sommes pas à vendre)

« Shame on EU ! Shame on AU! » (Honte à l’Union Européenne ! Honte à l’Union Africaine !)

« Rise, Africa, Rise ! Free Africa, Free ! » (Lève toi, Afrique ! Sois libre, Afrique !)

« Is it a crime to be african ? » (Est ce un crime d’être africain ?)

« We are priceless » (Nous sommes inestimables)